DICTIONNAIRE AMOUREUX

O comme Obsession

Etre assiégé ( du latin obsidere: assiéger, envahir, assaillir) puis tourmenté sans cesse par des choses qui s imposent  » sans répit à la pensée » selon la définition de Furetiere. Il en va ainsi de notre Obsession pour les marchandises.

D comme Dhotel

IL faut se laisser porter par les événements, se déprendre.

Quand rien ne se passe tout peut arriver. P. DAC ne disait il pas  » ne rien faire c’est déjà changer d activité ». Dhotel est avant tout le créateur d un monde habitable, qu’on ne peut comprendre qu’en le parcourant, en le quittant et en le retrouvant. Il s’agit de procéder par « tâtonnements ». Des lieux communs sont des éblouissements imaginaires ou le fantastique, le curieux, l étrange, de mêlent. Rien de grandiloquant, le gout du romanesque au détour d épines vinettes ou d’autres graminées. Une féerie hors du temps et de l espace Mais rien ne manque de la réalité , ni les conflits sociaux, ni les terribles familles, ni l’ardeur de la jeunesse, ni la trahison, ni la recherche du bonheur.

Partir de la vie quotidienne pour la replacer dans des féeries afin de mieux percer les apparences. Dhôtel nous croire au monde , à nos réalités, il nous fait éprouver la rude simplicité des existences.

  Ce jour-là de André Dhôtel Les seuls moments dignes d’être vécus lui semblaient ceux qu’il passait au bord de la rivière (les journées du dimanche et une heure de temps en temps quelque soir de la semaine). Dès qu’il se trouvait au milieu des herbes, devant l’eau, il se sentait aussi peu important qu’un moustique, et toute chose (y compris sa propre mort) lui paraissaient nécessairement paisibles et intéressantes.

EMANCIPATION

Comment des individus enchaînés depuis toujours au fond d’une caverne pourrait il ne serait ce que désirer sortir de leur état ? se demande Platon dans la République.

« Comment des gens qui ont subi une domination éfficace et réussie peuvent ils créer pour eux mêmes les conditions de la liberté demande Marcus vingt cinq siècles plus tard.

Si le problème de l émancipation n ‘est pas nouveau, la manière dont on le pose n’ est toutefois pas toujours la même. De ce point de vue l originalité de Castoriadis réside dans sa volonté de promouvoir pour les individus l ‘exigence d autonomie par le Faire, la praxis et ce pour chacun et pour les autres à travers des institutions délibérantes et légifèrentes nouvelles, dans la proximité et la justice sociale. De la coopérative au conseil ouvrier des traces de ce projet existent.

S’ émanciper par l action, la création, des collectifs est ce vraiment encore un projet ou une utopie ? Le problème est délicat car le résoudre revient à trancher entre deux attitudes.

La première rationnelle met en avant le désir de soumission des individus à l autorité et la quête du bonheur.

Pour la seconde progressiste la techno-science tient lieu de moral et l homme par la réalité augmentée va transformer sa condition par le transhumanisme. Dans cette hypothèse l émancipation passe par la fin de l humanisme, c est à dire de l homme dans sa condition de finitude, d être humain.

S ‘émanciper de sa condition de chair et de sang pour une autre condition que celle d être humain.

Est ce une émancipation ou un nouvel asservissement par la technique ( puisque c’est possible faisons le) une domination de la woke culture, a-naturel, visant à transformer, à a-culturer, les fondements d’ un contrat social qui repose sur le citoyen et non le consommateur ou le communautarisme.

« faute d’avoir la chose ils ont le nom » disait Lénine. L’émancipation n’est pas que le rejet de la tradition et la liberté n’est pas synonime de licence.

Le Solidarisme, cher à Ivan Illich existe encore sous différentes formes, à nous de le promouvoir dans un prochain article.

Praxis

J adore ce mot et cette poésie de l’action.

La praxis c est le faire visant l autonomie de tous, c’est l ambition des hommes à dominer ensemble l’avenir, à être maître de leurs existences, lesquelles dépendent pourtant en grande partie des institutions qui nous gouvernent.

La praxis c est un Faire dans lequel l’autre est visé comme un être autonome, comme un agent de sa propre autonomie. C est que la praxis est tout autre chose que l application d un savoir antérieur, préalable. Le savoir sur lequel il s appuie émerge de l activité elle même, interdisant de se placer en position de maîtrise et d exteriorité.

Le tout n’ est que partiellement ordonné. L autonomie comme toute praxis est une activité humaine qui s appuie sur la phronèsis c est à dire d’agir avec sagesse devant une situation nouvelle, elle est pouvoir de juger là où il n y a aucune règle déjà figée permettant de le faire. Praxis et création vont de pairs.

C est le cercle originaire de la création à partir duquel se pense le surgissement dès lors jamais localisé, anticipé, mais instantané.

Cet « en train de se faire » du processus créateur en définit le surgissement, l origine circulaire, la dynamique, le en transformation.

Dans les commencements qu’elle propose la peinture, la littérature ou la musique nous donne des mondes à venir à travers la création. Plus accessible par les sens que la praxis social ou politique, la création littéraire peut créer ce moment du surgissement ou un nouveau monde nous porte à envisager le même mais radicalement différent, transformé en un magma de significations nouvelles. Voir se dévoiler un monde de significations imaginaires assemblées sous une autre forme, du même et pourtant une connaissance nouvelle nous parvient.

C est l’incipit  » d un balcon en forêt », les premières pages de la « Métamorphose », de « Mort à credit » ou encore les passions de Bach.

Praxis, autonomie, création. Une ambition culturelle qui va de l éducation à la politique.

INCIPIT

En écho de l ‘article Praxis, il s’agit de proposer des commencements, des mondes à venir à travers la création littéraire , vivre ce moment ou une nouvelle mosaïque nous porte à envisager le même mais radicalement transformé en un magma de significations nouvelles. Voir se dévoiler un monde de significations imaginaires assemblées sous une autre forme , du semblable et portant une connaissance nouvelle nous parvient.

Ces commencements reformulent la question de l ‘origine, du cercle originaire et insurmontable de la création à partir duquel advient le surgissement jamais localisé mais instantané.

Ce surgissement est dés lors temporel et historique ; il marque un avant et un après . Je vous propose certains de ces commencements.

« Depuis que son train avait passé les faubourgs et les fumées de Charleville, il semblait à l’aspirant Grange que la laideur du monde se dissipait : il s’aperçut qu’il n’y avait plus en vue une seule maison. Le train, qui suivait la rivière lente, s’était enfoncé d’abord entre de médiocres épaulements de collines couverts de fougères et d’ajoncs. Puis, à chaque coude de la rivière, la vallée s’était creusée, pendant que le ferraillement du train dans la solitude rebondissait contre les falaises, et qu’un vent cru, déjà coupant dans la fin d’après-midi d’automne, lui lavait le visage quand il passait la tête pas la portière. La voie changeait de rive capricieusement, passait la Meuse sur des ponts faits d’une seule travée de poutrages de fer, s’enfonçait par instants dans un bref tunnel à travers le col d’un méandre. Quand la vallée reparaissait, toute étincelante de trembles sous la lumière dorée, chaque fois la gorge s’était approfondie entre ses deux rideaux de forêt, chaque fois la Meuse semblait plus lente et plus sombre, comme si elle eût coulé sur un lit de feuilles pourries. »

Julien Gracq, Un balcon en forêt.

« En se réveillant un matin après des rêves agités, Gregor Samsa se retrouva, dans son lit, métamorphosé en un monstrueux insecte. Il était sur le dos, un dos aussi dur qu’une carapace, et, en relevant un peu la tête, il vit, bombé, brun, cloisonné par des arceaux plus rigides, son abdomen sur le haut duquel la couverture, prête à glisser tout à fait, ne tenait plus qu’à peine. Ses nombreuses pattes, lamentablement grêles par comparaison avec la corpulence qu’il avait par ailleurs, grouillaient désespérément sous ses yeux.

« Qu’est-ce qui m’est arrivé ? » pensa-t-il. Ce n’était pas un rêve. Sa chambre, une vraie chambre humaine, juste un peu trop petite, était là tranquille entre les quatre murs qu’il connaissait bien. Au-dessus de la table où était déballée une collection d’échantillons de tissus – Samsa était représentant de commerce – on voyait accrochée l’image qu’il avait récemment découpée dans un magazine et mise dans un joli cadre doré. Elle représentait une dame munie d’une toque et d’un boa tous les deux en fourrure et qui, assise bien droite, tendait vers le spectateur un lourd manchon de fourrure où tout son avant-bras avait disparu.

Le regard de Gregor se tourna ensuite vers la fenêtre, et le temps maussade – on entendait les gouttes de pluie frapper le rebord en zinc – le rendit tout mélancolique. « Et si je me rendormais un peu et oubliais toutes ces sottises ? » se dit-il ; mais c’était absolument irréalisable, car il avait l’habitude de dormir sur le côté droit et, dans l’état où il était à présent, il était incapable de se mettre dans cette position.

Quelque énergie qu’il mît à se jeter sur le côté droit, il tanguait et retombait à chaque fois sur le dos. Il dut bien essayer cent fois, fermant les yeux pour ne pas s’imposer le spectacle de ses pattes en train de gigoter, et il ne renonça que lorsqu’il commença à sentir sur le flanc une petite douleur sourde qu’il n’avait jamais éprouvée. »

Frantz Kafka, La métamorphose.

« D’où, chose remarquable, rien ne s’ensuit.

On signalait une dépression au-dessus de l’Atlantique ; elle se déplaçait d’ouest en est en direction d’un anticyclone situé au-dessus de la Russie, et ne manifestait encore aucune tendance à l’éviter par le nord. Les isothermes et les isothères remplissaient leurs obligations. Le rapport de la température de l’air et de la température annuelle moyenne, celle du mois le plus froid et du mois le plus chaud, et ses variations mensuelles apériodiques, était normal. Le lever, le coucher du soleil et de la lune, les phases de la lune, de Vénus et de l’anneau de Saturne, ainsi que nombre d’autres phénomènes importants, étaient conformes aux prédictions qu’en avaient faites les annuaires astronomiques. La tension de vapeur dans l’air avait atteint son maximum, et l’humidité relative était faible. Autrement dit, si l’on ne craint pas de recourir à une formule démodée, mais parfaitement judicieuse : c’était une belle journée d’août 1913.

Du fond des étroites rues, les autos filaient dans la clarté des places sans profondeur. La masse sombre des piétons se divisait en cordons nébuleux. Aux points où les droites plus puissantes de la vitesse croisaient leur hâte flottante, ils s’épaississaient, puis s’écoulaient plus vite et retrouvaient, après quelques hésitations, leur pouls normal. L’enchevêtrement d’innombrables sons créait un grand vacarme barbelé aux arêtes tantôt tranchantes tantôt émoussées, confuse mare d’où saillait une pointe ici ou là et d’où se détachaient comme des éclats, puis se perdaient, ses notes plus claires. À ce seul bruit, sans qu’on en pût définir pourtant la singularité, un voyageur eût reconnu les yeux fermés qu’il se trouvait à Vienne, capitale et résidence de l’Empire. »

Robert Musil , L’homme sans qualités.

« Ça a débuté comme ça. Moi, j’avais jamais rien dit. Rien. C’est Arthur Ganate qui m’a fait parler. Arthur, un étudiant, un carabin lui aussi, un camarade. On se rencontre donc place Clichy. C’était après le déjeuner. Il veut me parler. Je l’écoute. « Restons pas dehors ! qu’il me dit. Rentrons ! » Je rentre avec lui. Voilà. « Cette terrasse, qu’il commence, c’est pour les œufs à la coque ! Viens par ici ! » Alors, on remarque encore qu’il n’y avait personne dans les rues, à cause de la chaleur ; pas de voitures, rien. Quand il fait très froid, non plus, il n’y a personne dans les rues ; c’est lui, même que je m’en souviens, qui m’avait dit à ce propos : « Les gens de Paris ont l’air toujours d’être occupés, mais en fait, ils se promènent du matin au soir ; la preuve, c’est que lorsqu’il ne fait pas bon à se promener, trop froid ou trop chaud, on ne les voit plus ; ils sont tous dedans à prendre des cafés crème et des bocks. C’est ainsi ! Siècle de vitesse ! qu’ils disent. Où ça ? Grands changements ! qu’ils racontent. Comment ça ? Rien n’est changé en vérité. Ils continuent à s’admirer et c’est tout. Et ça n’est pas nouveau non plus. Des mots, et encore pas beaucoup, même parmi les mots, qui sont changés ! Deux ou trois par-ci, par-là, des petits… » Bien fiers alors d’avoir fait sonner ces vérités utiles, on est demeurés là assis, ravis, à regarder les dames du café. Après, la conversation est revenue sur le Président Poincaré qui s’en allait inaugurer, justement ce matin-là, une exposition de petits chiens ; et puis, de fil en aiguille, sur Le Temps où c’était écrit.  » Tiens, voilà un maître journal, Le Temps !  » qu’il me taquine Arthur Ganate, à ce propos.  » Y en a pas deux comme lui pour défendre la race française ! – Elle en a bien besoin la race française, vu qu’elle n’existe pas !  » que j’ai répondu moi pour montrer que j’étais documenté, et du tac au tac. – Si donc ! qu’il y en a une ! Et une belle de race ! qu’il insistait lui, et même que c’est la plus belle race du monde, et bien cocu qui s’en dédit ! Et puis, le voilà parti à m’engueuler. J’ai tenu ferme bien entendu. – C’est pas vrai ! La race, ce que t’appelles comme ça, c’est seulement ce grand ramassis de miteux dans mon genre, chassieux, puceux, transis, qui ont échoué ici poursuivis par la faim, la peste, les tumeurs et le froid, venus vaincus des quatre coins du monde. Ils ne pouvaient pas aller plus loin à cause de la mer. C’est ça la France et puis c’est ça les Français. – Bardamu, qu’il me fait alors gravement et un peu triste, nos pères nous valaient bien, n’en dis pas de mal !… – T’as raison, Arthur, pour ça t’as raison ! Haineux et dociles, violés, volés, étripés et couillons toujours, ils nous valaient bien ! Tu peux le dire ! Nous ne changeons pas ! Ni de chaussettes, ni de maîtres, ni d’opinions, ou bien si tard, que ça n’en vaut plus la peine. On est nés fidèles, on en crève nous autres ! Soldats gratuits, héros pour tout le monde et singes parlants, mots qui souffrent, on est nous les mignons du Roi Misère. C’est lui qui nous possède ! Quand on est pas sages, il serre… On a ses doigts autour du cou, toujours, ça gêne pour parler, faut faire bien attention si on tient à pouvoir manger… Pour des riens, il vous étrangle… C’est pas une vie… – Il y a l’amour, Bardamu ! – Arthur, l’amour c’est l’infini mis à la portée des caniches et j’ai ma dignité moi ! que je lui réponds

– Parlons-en de toi ! T’es un anarchiste et puis voilà tout ! »

L-F Céline, Voyage au bout de la nuit

MINGEI

« Ce qui est naturel, sincère, sûr, simple, telles sont les caractéristiques du Mingei ». Cette définition du mouvement artistique japonais est forgée par le théoricien Yanagi Sōetsu en 1933 dans ce qui peut être considéré comme son manifeste, l’idée du Mingei. 

Portrait de Yanagi Sōetsu

Yanagi prône un retour au système des guildes médiévales pour la méthode d’apprentissage et les relations développées entre le maître et ses élèves… Cette conception de l’artisanat fait largement écho à la vie des artisans japonais relatée dans le Shokunin zukushie, qui décrit les habitudes et le code moral strict auxquels sont soumis les artisans : une diligence extrême au travail et un effacement total de l’intérêt personnel !

Pour résumer, une production est dite mingei lorsqu’elle offre une beauté simple accessible à tous, un effacement total de son créateur (anonymat) et une spontanéité naturelle de l’artisan (qui renvoi au concept zen de mushin « pensée sans pensée »).

Le mouvement mingei cherche à rénover le regard porté sur l’art et sa définition. Par ses choix esthétiques, il incarne un parti pris politique à deux niveaux : d’une part la conservation des traditions dans un Japon tourné vers les nouvelles techniques ; d’autre part une reconnaissance de la beauté de l’art coréen dans un contexte de colonisation, de destruction et d’abnégation générale de la culture coréenne.

L’appellation « Mingei » est tout simplement l’assemblage des mots « minshu » (peuple) et « kogei » (artisanat).

Pour résumer, un objet Mingei est esthétique, utile, de qualité, mais aussi et surtout fidèle à sa fonction dans la vie quotidienne.

Pour finir, une citation du fondateur Soetsu Yanagi : “Le Mingei doit être modeste mais non de pacotille, bon marché mais non fragile. La malhonnêteté, la perversité, le luxe, voilà ce que les objets mingei doivent au plus haut point éviter : ce qui est naturel, sincère, sûr, simple, telles sont les caractéristiques du Mingei.

 Le Mingei peut être vu comme une réaction à l’orientation du design et des arts décoratifs japonais de la première moitié du XXème siècle, trop influencé par la découverte des arts occidentaux. Développé par le penseur Soetsu Yanagi et plus tard par son fils Sori Yanagi refusant le luxe, l’apparence et la sophistication technique de l’artisanat aristocratique, le seul alors considéré au Japon.

Ses initiateurs  réagissent  en réinterprétant les arts traditionnels japonais et sauvegardent des savoirs faire menacés de disparition. Sans pour autant tourner le dos à la modernité et ses techniques.En atteste la venue au Japon de Bruno Taut, Charlotte Perriand et Isamu Noguchi alors émigré aux Etats-unis et leur influence sur le développement de la production design dès l’après guerre.

Isamu Noguchi – lampes en papier washi

Selon Soetsu Yanagi, un objet, pour être considéré Mingei cet objet doit rester pure par rapport à  sa fonction et être utilisé immédiatement après sa création. Comme le dit lui même Soetsu Yanagi : « son esthétique doit rester honnête par rapport à sa fonction »


Charlotte Perriand – lit en bambou et matelas tatamis

Le fils de Soetsu, Sori Yanagi -pionnier du design après guerre au Japon- concilie plus tard une approche moderne avec une sensibilité pratique transmise par Charlotte Perriand. Son siège butterfly (1953) est d’ailleurs pensé après avoir assisté Perriand lors de la conception de la chaise « ombre » inspirée de la calligraphie japonaise.

Sori Yanagi – tabouret Butterfly contreplaqué moulé et cintré.
Charlotte Perriand – présentation à Tôkyô en 1941

Pour les Yanagi, la meilleure définition de l’objet Mingei est « la beauté de l’ordinaire » redoutant par dessus tout que la recherche du « beau pour le beau » ne détourne les artistes de l’artisanat en lequel ils voient la source de tout art.

Mais l’esprit Mingei s’est aussi accepter l ‘œuvre du temps, son imperfection qui révèle toute sa beauté. Il est possible de rapprocher la tradition Mingei avec la notion Wabi-Sabi. Le Wabi ( solitude, simplicité, nature ) et le Sabi ( altération par le temps) .

Jizo du dix septième siècle

Leonard Koren, architecte et théoricien de l’esthétique, a étudié durant de nombreuses années le concept de wabi-sabi et en a tiré un ouvrage « wabi-sabi« , à l’usage des artistes, designers, poètes et philosophes, dans lequel il essaie de définir le wabi-sabi.

“Wabi-sabi est la beauté des choses imparfaites, impermanentes et incomplètes. C’est la beauté des choses modestes et humbles. C’est la beauté des choses atypiques.”

Tout en reconnaissant toutefois que, même à l’intérieur des frontières de l’archipel, la définition reste difficile à établir.

C’est une notion difficile à expliquer, et bien que tous les Japonais soient prêts à affirmer qu’ils comprennent le sentiment associé au wabi-sabi, ils sont très peu capables de le formuler.”

Le wabi-sabi est constitué de deux principes entremêlés : wabi, qui fait référence à la plénitude et à la modestie que l’on peut éprouver en observant la nature et le sabi, la sensation que l’on ressent lorsque l’on voit des choses patinées par le temps ou le travail des êtres humains. L’éthique du wabi-sabi prône donc une vie menée par une sobriété maitrisée, où l’on est capable de déceler et d’apprécier l’impermanence, la beauté de toute chose humble et imparfaite.

Ce qui me charme dans l esprit Mingei c’est tout à la fois cette réaction politique par la culture et un retour à l artisanat mais aussi une forme de dénuement, certes esthétique et aristocratique mais qui refuse la différence entre un art populaire et ce qui se fait de nos jours. La création populaire primitive ou plus artistique permet et rend activement possible une variété indéfinie de réalisations, de même qu’elle fait une place à l excellence de l interprète , qui n’est jamais simple interprète mais créatif dans son interprétation: potier, sculpteur…

Un rapport au temps diffèrent se crée, car elle dure souvent bien plus longtemps soit par son usage, soit par sa confection. Sa durabilité fait partie de son mode d’être au monde. Elle porte une création mais aussi un mode d’être de la collectivité qui a vue naitre l objet et celui a qui il va être transmis. Une sorte de transmutation d’une valeur de tradition.

Dernière illustration – mais je reviendrais dans un futur article sur une autre dimension du Mingei , le shintoïsme des villages- il s’agit du texte sur l éloge de l ombre de Tanizaki.

Certes cet essai est très esthétisant et oppose de manière radicale l art d occident et celui du japon , mais à sa manière il ouvre une porte esthétique .

Je vous propose quelques extraits .

L’ombre et la lumière

“ En fait, la beauté d’une pièce d’habitation japonaise, produite uniquement par un jeu sur le degré d’opacité de l’ombre, se passe de tout accessoire. L’Occidental, en voyant cela, est frappé par ce dépouillement et croit n’avoir affaire qu’à des murs gris dépourvus de tout ornement, interprétation parfaitement légitime de son point de vue, mais qui prouve qu’il n’a point percé l’énigme de l’ombre. “

« N’avez-vous jamais, vous qui me lisez, au moment de pénétrer dans une de ces salles, éprouvé le sentiment que la clarté qui flotte, diffuse, dans la pièce, n’est pas une clarté ordinaire, qu’elle possède une qualité rare, une pesanteur particulière ? N’avez-vous jamais éprouvé cette sorte d’appréhension qui est celle que l’on ressent face l’éternité, comme si de séjourner dans cet espace faisait perdre la notion du temps, comme si les ans coulaient sans qu’on s’en aperçoive, à croire qu’à l’instant de le quitter l’on sera devenu soudain un vieillard chenu ?« 

« Aussi n’est-il pas impossible de prétendre que c’est dans la construction des lieux d’aisance que l’architecteur japonaise atteint aux sommets du raffinement. Nos ancêtres qui poétisaient toute chose, avaient réussi paradoxalement à transmuer en un lieu d’ultime bon goût l’endroit qui, de toute la demeure, devait par destination être le plus sordide, et par une étroite association avec la nature, à l estomper dans un réseau de délicates associations d’images. Comparée à l’attitude des Occidentaux qui, de propos délibéré, décidèrent que le lieu était malpropre et qu’il fallait se garder même d’y faire en public la moindre allusion, infiniment plus sage est la nôtre, car nous avons pénétré là, en vérité, jusqu’à la moelle du raffinement.« 

« D’aucuns diront que la fallacieuse beauté créée par la pénombre n’est pas la beauté authentique. Toutefois, ainsi que je le disais plus haut, nous autres Orientaux nous créons de la beauté en faisant naître des ombres dans des endroits par eux-mêmes insignifiants. »

Le beau

 « Je crois que le beau n’est pas une substance en soi, mais rien qu’un dessin d’ombres, qu’un jeu de clair-obscur produit par la juxtaposition de substances diverses. De même qu’une pierre phosphorescente qui, placée dans l’obscurité émet un rayonnement, perd, exposée au plein jour, toute sa fascination de joyau précieux, de même le beau perd son existence si l’on supprime les effets d’ombre. “

« Car un laque décoré à la poudre d’or n’est pas fait pour être embrassé d’un seul coup d’oeil dans un endroit illuminé, mais pour être deviné dans un lieu obscur, dans une lueur diffuse qui, par instants, en révèle l’un ou l’autre détail, de telle sorte que, la majeure partie de son décor somptueux constamment caché dans l’ombre, il suscite des résonances inexprimables.

De plus, la brillance de sa surface étincelante reflète, quand il est placé dans un lieu obscur, l’agitation de la flamme du luminaire, décelant ainsi le moindre courant d’air qui traverse de temps à autre la pièce la plus calme, et discrètement incite l’homme à la rêverie. N’étaient les objets de laque dans l’espace ombreux, ce monde de rêve à l’incertaine clarté que sécrètent chandelles ou lampes à huile, ce battement du pouls de la nuit que sont les clignotements de la flamme, perdraient à coup sûr une bonne part de leur fascination. Ainsi que de minces filets d’eau courant sur les nattes pour se rassembler en nappes stagnantes, les rayons de lumière sont captés, l’un ici, l’autre là, puis se propagent ténus, incertains et scintillants, tissant sur la trame de la nuit comme un damas fait de ces dessins à la poudre d’or.

Ce que l’on appelle le beau n’est d’ordinaire qu’une sublimation des réalités de la vie, et c’est ainsi que mes ancêtres, contraints à demeurer bon gré mal gré dans des chambres obscures, découvrirent un jour le beau au sein de l’ombre, et bientôt ils en vinrent à se servir de l’ombre en vue d’obtenir des effets esthétiques.

Le bol de laque au contraire, lorsque vous le découvrez, vous donne, jusqu’à ce que vous le portiez à la bouche, le plaisir de contempler, dans ses profondeurs obscures, un liquide dont la couleur se distingue à peine de celle du contenant et qui stagne, silencieux, dans le fond. Impossible de discerner ce qui se trouve dans les ténèbres du bol, mais votre main perçoit une lente oscillation fluide, une légère exsudation qui recouvre les bords du bol, vous apprend qu’une vapeur s’en dégage, et le parfum que véhicule cette vapeur vous offre un subtil avant-goût de la saveur du liquide, avant-même que vous en emplissiez votre bouche. Quelle jouissance dans cet instant, combien différente de ce que l’on éprouve dans une assiette plate et blanchâtre de style occidental ! Il est à peine exagéré d’affirmer qu’elle est de nature mystique, avec même un petit goût zennique. »

…] à un éclat superficiel et glacé, nous avons toujours préféré les reflets profonds, un peu voilés; soit, dans les pierres naturelles aussi bien que dans les matières artificielles, ce brillant légèrement altéré qui évoque irrésistiblement les effets du temps. « Effets du temps », voilà certes qui sonne bien mais, à vrai dire, c’est le brillant que produit la crasse des mains. Les Chinois ont un mot pour cela, « le lustre de la main »; les Japonais disent l’ »usure » : le contact des mains au cours d’un long usage, leur frottement, toujours pratiqué aux mêmes endroits,produit avec le temps une imprégnation grasse; en d’autres termes , ce lustre est donc bien la crasse des mains.

[…] Contrairement aux Occidentaux qui s’efforcent d’éliminer radicalement tout ce qui ressemble à une souillure, les Extrême-Orientaux la conservent précieusement, et telle quelle, pour en faire un ingrédient du beau. »

C comme Convivialité

« Seul, dans sa fragilité, le verbe peut rassembler la foule des hommes pour que le déferlement de la violence se transforme en reconstruction conviviale. » Ivan ILLICH1

Let terme de société conviviale fait référence, bien sûr, au célèbre ouvrage d’Ivan Illich, La convivialité (1973). Cet ouvrage a été, au début des années 1970, l’un des textes les plus largement diffusés parmi ceux qui incitaient alors à une révision complète des modes d’organisation de nos sociétés. Ils avaient alerté l’opinion publique sur le fait que les évolutions mondiales en cours nous entraînaient vers une catastrophe et qu’il était grand temps d’entreprendre des changements radicaux. Puis, pendant une trentaine d’années, les analyses et les appels lancés par ces divers livres sont restés sans véritable écho, comme si leurs sombres prophéties avaient été conjurées pour toujours. Mais il faut se rendre à l’évidence : aucune des difficultés redoutables annoncées n’a été véritablement surmontée, aucun des problèmes résolus. Or les échéances se font de plus en plus pressantes. Il faut donc rouvrir à nouveaux frais la discussion engagée par Ivan Illich et se demander comment fabriquer une société plus vivable, plus conviviale en cessant de placer une confiance absolue dans les grands appareils techniques de la modernité – de moins en moins efficaces et conviviaux, de plus en plus contreproductifs –, et en se déprenant de l’espoir que la croissance économique puisse résoudre miraculeusement tous nos problèmes. Pour avancer dans ce débat, il faut, plus précisément, se mettre en position d’extirper les trois échardes qui s’enfoncent profondément dans la chair de nos sociétés et engendrent de plus en plus de souffrance sans qu’on sache trop bien – comme c’est le cas avec les échardes – d’où elle provient : – un fonctionnement exclusivement centré sur l’efficacité utilitariste ; – la focalisation sur une croissance qui met en péril la nature ; – et une chosification-marchandisation généralisée qui rend nos sociétés inhumaines.

Concepts clés développés dans son ouvrage La convivialité, Ivan Illich définit plusieurs concepts qui sont pour la plupart passés dans le vocabulaire courant. Les concepts développés sont à la base de son argumentation et leurs définitions même fondent le radicalisme de l’auteur. Dans La convivialité, Ivan Illich remet en cause la société industrielle et son impact sur l’humain. Cependant, l’auteur ne donne pas de définition précise de ce terme. On peut néanmoins en trouver une définition dans le dictionnaire des notions philosophiques qui décrit la société industrielle comme un « type de société qui, à partir du milieu du XVIII° siècle et au cours du XIX° siècle, s’est constitué en Europe à la faveur de la « révolution industrielle ». Supplantant d’abord en Angleterre, puis en France et dans tout l’Occident, la société traditionnelle (rurale, paysanne et artisanale), la société industrielle se caractérise par le machinisme (emploi systématique des machines dans la production économique, en remplacement de la force musculaire), la tendance à la production croissante (« reproduction élargie » du capital, K. Marx), l’urbanisation (explosion démographique et dépendance de la campagne par rapport à la ville), l’internationalisation du marché, etc. »

 Une société conviviale est « une société où l’outil moderne est au service de la personne intégrée à la collectivité, et non au service d’un corps de spécialistes. Conviviale est la société où l’homme contrôle l’outil » . Ivan Illich précise qu’il emprunte le terme de convivialité à Brillat-Savarin qui l’utilisa dans sa Physiologie du goût : Méditations sur la gastronomie transcendantale. Dans l’acceptation que l’auteur donne au terme, « c’est l’outil qui est convivial et non l’homme » .  Ivan Illich utilise une définition très large de la notion d’outil. Il emploie donc le terme d’outil au sens « d’instrument ou de moyen, soit qu’il soit né de l’activité fabricatrice, organisatrice ou rationalisante de l’homme, soit que, tel le silex préhistorique, il soit simplement approprié par la main pour réaliser une tâche spécifique, c’est à dire mis au service d’une intentionnalité » . Outil convivial : « L’outil est convivial dans la mesure où chacun peut l’utiliser, sans difficulté, aussi souvent ou aussi rarement qu’il le désire, à des fins qu’il détermine lui-même. L’usage que chacun en fait n’empiète pas sur la liberté d’autrui d’en faire autant. Personne n’a besoin d’un diplôme pour s’en servir; on peut le prendre ou non. Entre l’homme et le monde, il est conducteur de sens, traducteur d’intentionnalité ». « L’homme qui trouve sa joie et son équilibre dans l’emploi de l’outil convivial […est] austère. […] L’austérité n’a pas vertu d’isolation ou de clôture sur soi.

Thomas définit l’austérité comme une vertu qui n’exclut pas tous les plaisirs, mais seulement ceux qui dégradent la relation personnelle. L’austérité fait partie d’une vertu plus fragile qui la dépasse et qui l’englobe : c’est la joie, l’eutrapelia, l’amitié ».

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C comme Chaos

Le chaos possède dans le texte d’hésiode une double signification: il désigne d’une part le vide, le néant; d’autre part le désordre ce qui se donne d’emblée sur le mode du mélange. Au premier sens du terme le chaos renvoie à l’idée que le monde émerge du vide c’est à dire du néant que celui-ci est pure émergence en tant qu’il ne peut être considéré comme le produit d’une cause antérieure . Au second sens du mot le chaos signifie que le monde n’est pas intégralement organisé mais repose sur un désordre primordial puisque les formes déterminées qui lui donne la figure d’un cosmos organisé émerge de l’informe et l’indéterminé.

Mais que l’être ne soit pas intégralement déterminée ne signifie pas qu’il soit absolument indéterminable et comme rétif à toute détermination si l’être est à l’origine un chaos une multiplicité désordonnés sans structure il est aussi puissance de détermination créatrice. Le chaos ne constitue donc pas un pur désordre auquel cas il serait impossible d’en dire quelque chose. Il se donne toujours en même temps comme monde de forme organisée. La création est précisément la position de nouvelles déterminations.

Le magma désigne cette façon pour le chaos de s’arracher au désordre intégral ou rien ne fait ni sens ni forme afin de se constituer comme monde sans cette pré ordonnance des choses qui organise ce qui apparaît sous des formes génériques déterminées il ne pourrait exister aucun monde. Dans ces conditions le Magma permet de penser le mode d’être de ce qui n’est pas totalement ordonné ni intégré . C’est à partir de ce chaos initial que peuvent naître des entités nouvelles d’une certaine manière le magma ne se situe pas très loin de ce que Maurice Merleau-Ponty cherche à penser dans « le visible et l’invisible » sous le terme de chair. La chair forme cette texture qui constitue  « le milieu formateur de l’objet et du sujet », ce que Merleau-Ponty nomme l’invisible de ce monde celui qui l’ habite le soutien et le rend visible, sa possibilité intérieure et propre , « l’Être de cet état ».

Cette chair du monde ouvre à une dimension ontologique des choses.

Penser l’être comme auto création c’est à dire comme puissance  d’auto altération indéterminée en même temps que déterminante.

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