Y comme Yvette

Dictionnaire amoureux

Yvette est morte à 92 ans cette année.

Etre née en 1930 à Aubervilliers dans un milieu ouvrier c’est écrire une page qui ne sera plus jamais de retour. C’est avoir connu la guerre à 10 ans, le désœuvrement, la pauvreté, l’effroi. C’est partir à l’école en jupe sans culotte car son père est saoul, sa mère tyrannisée et chanter à tue-tête dans la cour d’école « Maréchal nous voilà » ; c’est s’occuper de ses 4 frères et sœurs et rester le soir terrer dans le jardin devant les violences de son père brandissant un couteau ; c’est une époque comme on dit.

Mais c’est aussi l’usine à 14 ans, les copines, le travail à la chaine, les matchs de boxe avec Marcel Cerdan, le cinéma pour quelques sous, la Libération et les américains ; on se peint des collants sur les jambes et elle découvre le chewing gum.

Plus tard ce sera les vacances d’été dans la Peugeot pleine à craquer avec au-dessus la galerie et dans la voiture les parents les 2 enfants la grand-mère et le boxer… et ça chante à tue-tête et on crève de chaud et on se marre, direction l’Espagne et la Costa del sol.

La plage, le soleil, les Churros et Yvette qui ne sait toujours pas nager.

Yvette fait des ménages et retourne à l’usine.  Courir pour porter les enfants à l’école, courir pour rejoindre l’usine, et recourir pour le soir faire la sortie de l’école.

Chez Yvette, petit pavillon à Aubervilliers, les toilettes sont dans le jardin, on se lave dans l’évier, elle se chauffe au charbon et on n’a pas la télé. Mais on n’a pas de volet, la porte n’est pas fermée à clé et les enfants jouent dans la rue en attendant le laitier… non nous ne sommes en 1880 mais dans les années 1970.

Yvette va au cinéma ou au spectacle une fois par an le 31 décembre jamais au restaurant. Yvette est toujours débordée, aux bords des nerfs, elle doit s’occuper de sa mère alcoolique qui réside avec elle et des fins de mois qui démarre le 10 ; alors on fait des ardoises chez les commerçants.

Yvette n’est pas une sainte et ses colères cassent beaucoup de vaisselles.

Yvette a traversé la seconde guerre mondiale, les tickets de rationnement, la guerre d’Algérie, le monde industriel, la pauvreté, le communisme, la fin des quartiers populaires au profit de la Banlieue, la désindustrialisation et l’ère du vide.

Mais Yvette n’a aucune occurrence sur internet sauf son avis de décès, elle n’avait ni d’ordinateur ni téléphone portable pourtant elle lisait Télérama, regardait Arte et pensait que hier c’était vraiment moins bien qu’aujourd’hui ; elle était pour le progrès et l’émancipation des femmes car elle savait le goût de la détresse matérielle et humaine.

Une histoire de la France laborieuse et ouvrière prend fin. Une vie.

Je dis au revoir à ma Mère.

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Publié par faitetafaire1128

Qui suis -je ? Trop vaste question pour moi et pour vous. je suis un peu celui qui se refuse à s'en remettre aux autre sans comprendre par soi même . Je suis celui qui aime les personnes mais s attache peu au genre humain. Je suis un enfant des trains électriques, des petits cyclistes , qui allait voir décoller les avions au Bourget avec son père. Je suis un fils d'immigré républicain espagnol qui aime la France mais se désole du refus de mes contemporains d être ce que nous sommes, c est à dire une civilisation judéo chrétienne accueillante mais intransigeante sur l art de vivre à la française qui reste notre seul héritage. J aime la pensée, la philosophie , mais aussi la spiritualité qui forge les cultures. j espère que mes petites lucarnes , plus ou moins régulières- travail et ultra trail oblige- vous feront plaisir.

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