Autonomie et travail: seconde partie

Cet article n’est pas la suite du premier qui portait sur l ‘organisation du travail dans une perspective communiste et dans la tradition marxiste.

Celui ci vise plutôt les évolutions managériales conduisant à un mal être au travail que l on peut nommer une quotidienneté du mal.

Plus le discours libéral parle de bientraitance, de Burn out, d’entreprise citoyenne et de co-responsabilité plus l’ingénierie managériale et le new public management ( NPM) étouffe les individus et fait taire le salarié.

Tous cela repose la question du travail, de son sens certes, de sa valeur, mais aussi de sa nature anthropologique.

Je compte aborder cette étude en cheminant à partir de la pensée de Hannah Arendt.


ll n’est pas rare que la distinction établie par Hannah Arendt dans Condition humaine -et non pas de l’homme moderne- entre travail, œuvre et action, soit comprise comme un désintérêt, voire un mépris, affiché envers le travail . Cette interprétation s’appuie sur une porosité entre le niveau du lexique, particulièrement diversifié, et celui du concept arendtien, strictement entendu au sens du labeur. En tant que terme du langage courant, en effet, le travail recouvre un large faisceau d’acceptions qui en fait à la fois la richesse et la plasticité – activité de transformation du réel, emploi qui assure un revenu, collaboration à la production économique, moyen de tenir sa place parmi les autres, activité à travers laquelle on espère se réaliser, peut-être se distinguer, etc. Mais, en tant que concept, l’élaboration à laquelle Hannah Arendt soumet le terme le restreint artificiellement à signifier l’activité nécessitée par les besoins de la vie – le labeur. Du fait d’une interprétation qui oscille du mot au concept, on néglige parfois une pensée qui a pourtant beaucoup à nous dire sur les transformations du travail aujourd’hui.

Le texte qui suit voudrait convaincre de la pertinence d’une application de la distinction arendtienne au travail en régime de néomanagement en l’articulant à l’écho qu’elle trouve dans la quotidienneté du mal au travail .

Après un bref rappel des principaux traits de la distinction le questionnement politique qui la sous-tend sera mis en relief, ce qui permettra d’envisager son lien profond avec la notion de banalité du mal. Une deuxième partie s’efforcera de relire la distinction, dans la perspective des préoccupations de la psychodynamique du travail, notamment à travers la stratégie défensive de désinvestissement subjectif du travail. Le troisième temps de notre réflexion nous conduira à avancer que le néomanagement est l’outil par lequel est en passe de se réaliser cette « société de travailleurs menacés d’être privés de travail » contre laquelle la distinction établie par H. Arendt cherchait à mettre en garde.

La distinction travail, œuvre, action

La raison principale qui conduit à charger d’un mépris pour le travail la distinction établie par Hannah Arendt entre travail, œuvre et action, est qu’on la radicalise en la substantialisant. Il est vrai que H. Arendt parle, elle-même, de distinguer des activités à l’aide de ces termes ; mais son expression est ambiguë et la cohérence de l’ensemble du texte exige davantage d’y voir une distinction non pas substantielle, mais analytique : plutôt que des activités en tant que telles, ce sont des versants de l’activité humaine qui sont distingués, à partir des « conditions  » qui sont les leurs, et des buts qui les orientent.

Selon Arendt, en effet, l’activité, du fait qu’elle est humaine, est orientée selon trois visées différentes : parce que l’homme est un être vivant, il souscrit à la nécessité du labeur, d’avoir à faire quelque chose pour se maintenir en vie (travail) ; parce qu’il est un être conscient, il se sait mortel, et il sait l’indifférence de la nature à son égard : il veut rendre le monde familier, y laisser sa marque, et il le peuple d’objets de son invention – il fabrique un monde (œuvre) ; parce qu’il est un être social, il apparaît aux autres et veut tout à la fois leur manifester le sens qu’il accorde à cette vie ensemble et leur montrer ce dont il est capable (action). Travail, œuvre, action : les activités humaines se déploient selon cette triple vectorisation. Se maintenir en vie. Produire un monde humain d’objets. Vivre humainement.

Ces grandes orientations déterminent un rapport différent à ce qui est produit : les produits du travail sont destinés à être rapidement détruits par la consommation alors que les produits de l’œuvre sont voués à être utilisés et transmis, c’est-à-dire à durer ; quant au registre de l’action, on peut à peine parler de produits, puisqu’il n’y a pas là de matérialité – l’action est le lien entre les hommes mis en acte –, mais des mots qui s’échangent, des décisions qui se prennent, etc. Lorsque l’action produit quelque chose – la promulgation d’une loi, par exemple – elle se situe alors sur le versant de l’œuvre Ce passage discret et inévitable d’un registre à l’autre est un argument en faveur d’une lecture analytique et non substantialiste de la distinction.

La distinction arendtienne est l’outil d’une critique de la tendance moderne à réduire la triple orientation des activités humaines à la seule utilité, ramenée au vital. Ainsi, écrit-elle, nous avons « presque réussi à niveler toutes les activités humaines pour les réduire au même dénominateur qui est de pourvoir aux nécessités de la vie et de produire de l’abondance. Quoi que nous fassions, nous sommes censés le faire pour “gagner notre vie” » (Arendt). Critique, autrement dit, de la dérive qui rabat l’ensemble des activités humaines vers la seule catégorie du travail entendu comme labeur : l’effort nécessaire et incessamment renouvelé  ce qu’il faut bien faire pour vivre, ce qui est important parce que le vivant ne saurait s’en passer. Cela se lit notamment dans la dénonciation, étonnamment actuelle, de la dégradation des produits de l’œuvre en produits de consommation .

L’argument le plus décisif pour une interprétation de la distinction en termes analytiques est qu’une activité aussi strictement limitée à sa dimension laborieuse ne peut avoir été pensée comme la définition de l’activité courante du travail, qui n’est limitée à sa fonction vitale que dans des circonstances extrêmes. Il est indéniable – et on ne voit pas pourquoi H. Arendt l’aurait ignoré – que, dans l’activité concrète du travail (entendu au sens courant d’activité socialement utile et rémunérée), les différentes orientations du travail, de l’œuvre et de l’action, sont le plus souvent mêlées – lorsque par exemple nous aspirons, au travers de notre emploi, à tenir notre place dans la société, à faire du « beau travail », ou encore à faire exister ce qui nous paraît juste.

La réduction de l’activité de travail au travail

Le mouvement de réduction qui affecte la représentation des activités dans la société moderne, société dominée par la prégnance de la technique et sa visée d’utilité, tend ainsi à rabattre l’utilité sur le vital. La question « À quoi ça sert ? » en vient à écraser toutes les autres perspectives sur l’activité et à faire apparaître comme accessoires celles dont le vivant peut se passer. Dès lors, affirme H. Arendt, cette hégémonie de l’exigence d’une utilité ramenée à la nécessité vitale menace de recouvrir la question du sens et porte atteinte à la dimension spécifiquement humaine de l’activité : elle nous pousse à nous conduire comme des rouages de machines, ou comme des fourmis dans la fourmilière. Les uns et les autres – rouages et fourmis – fonctionnent, ils contribuent à la bonne marche de l’ensemble, sans jamais poser la question du sens de ce qu’ils font – et pour cause !

La thèse de Hannah Arendt revient donc à affirmer que l’activité humaine, en tant qu’elle est humaine, excède toujours la question du vital et de l’utile. Non que cela soit négligeable ou méprisable ; mais cela ne saurait suffire – sauf grave atteinte à ce qui nous fait humains. Pour les hommes, il s’agit de gagner leur vie, c’est incontestable ; mais au moins tout autant de limiter l’étrangeté de leur environnement et de fabriquer un monde structuré par les artifices humains ; et plus encore peut-être d’agir dans ce monde pour y faire exister leurs valeurs et manifester aux autres qui ils sont.

« Quoi que nous fassions, nous sommes censés le faire pour “gagner notre vie” » (Arendt). L’apparente évidence de la formule cache un redoutable déni des intérêts spécifiquement humains, qui nous fait courir le risque de juger superflu ce qui, n’étant pas vital, nous est cependant essentiel. Si Hannah Arendt affirme de façon provocante que « le travail est la moins humaine des activités », ce n’est pas par mépris aristocratique pour le labeur, mais contre le mépris, au nom de ce qui est vital, de la question du sens.

Cet argument du nécessaire qui veut faire taire toute question, nous le connaissons bien, nous qui vivons dans une société où le sentiment d’impuissance tend à l’emporter, face aux impératifs économiques. Si c’est la nécessité économique qui impose la voie à suivre, à quoi bon nous interroger sur le sens de ce que nous faisons et sur la société que nous voudrions former ?

Comme toujours chez Arendt, la toile de fond de ce qu’elle discute est politique. L’œuvre de Arendt peut être vue comme le déploiement incessant de la question qui l’initie, à partir des Origines du totalitarisme (publié en 1951) : comprendre le totalitarisme – comment cela a-t-il été possible ? le mal peut être fait sans y penser.

Organisation du travail et rapport au réel

La psychodynamique du travail a repris l’idée arendtienne de banalité du mal (Dejours)  pour l’appliquer aux transformations récentes de l’organisation du travail. Le NPM est ainsi articulée à sa propension à susciter un renoncement au jugement, en évacuant la question du sens au profit de mesures standardisées et chiffrées qui malmènent le travail réel. Cette déréalisation ouvre sur la généralisation des phénomènes de souffrance au travail : pour « coller » tant bien que mal aux objectifs prescrits, un mensonge collectif s’élabore (Dejours), qui installe chacun dans la compromission, ne serait-ce que par le silence obligé de son corps à corps avec l’activité concrète du travail. Ordonner l’impossible, infliger l’humiliation, sont dès lors comme inscrits dans les principes mêmes du fonctionnement ; cela se fait sans avoir à y penser, puisque c’est présenté comme nécessaire : il faut tirer le « meilleur » de chacun, éliminer ceux qui ne sont pas « performants », etc. La routine banale de l’« efficacité » – une efficacité qui n’est plus rapportée à ce que le travail produit, mais à l’adéquation des mesures de l’activité aux objectifs prédéfinis. Comme si intéressait moins le travail que l’image du travail, une image qui doit venir confirmer les injonctions managériales. Le processus d’abstraction du travail est à son comble, dans cette représentation du travail qui ne veut plus rien savoir du travail réel  c’est-à-dire du travail vivant dans sa rencontre avec l’épreuve du réel. Par conséquent – le réel étant par définition ce qui résiste à l’entreprise humaine – l’irruption pourtant inévitable de l’imprévisible et de l’échec est déniée : la pratique managériale installe le principe d’une activité aveugle à ce qu’elle fait.

Les collectifs se délitent avec la disparition des espaces de délibération et, avec eux, la réalité même de ce qui est fait. Dès lors s’ouvre la spirale de ces nouvelles pathologies du travail que sont les « pathologies de la solitude » (Dejours) – pathologies de la « désolation  » décrite par H. Arendt. La réalité humaine est tissée de pluralité, elle est faite de représentations croisées, des points de vue qui s’échangent dans l’espace public ; lorsque les hommes ne peuvent plus parler entre eux de la réalité qu’ils partagent, c’est le sol même de la réalité qui se dérobe.

La qualité devient une fiction lorsqu’elle est portée par des mesures qui réfèrent davantage à leur propre standardisation qu’à la réalité de ce qui est produit. Les effets aberrants de ces procédures sont bien connus, et rendent manifeste leur caractère insensé – au sens le plus littéral du terme : des procédures qui, par leur rupture d’avec la question du sens, sont devenues folles. Ces procédures prétendent poser une évaluation sans le détour par le jugement et la parole : il n’y aurait rien à discuter, seulement à mesurer. De fait, c’est une rupture avec la réalité qui est induite, et le processus absolutise une pseudo-objectivité. Car qu’est-ce qui est mesuré ? La « description gestionnaire » du travail aboutit à priver de sens les critères qui lui sont appliqués, du simple fait de leur systématisation  Le caractère formel et arbitraire de ces mesures heurte les jugements portés sur l’activité, qui demandent évidemment plus de subtilité qu’un critère mécaniquement appliqué. Mais ces jugements ne trouvent plus à se dire, ils sont les clandestins de la pratique ordinaire. Les ajustements empiriques par lesquels les travailleurs composent dans leur rapport au réel doivent être passés sous silence : il faut faire comme si tout allait conformément aux prescriptions, adapter tant bien que mal le réel aux normes. Le sens du métier s’égare, quand ce qui fait le métier devient encombrant dans les rapports avec la hiérarchie et qu’il faut éviter d’en parler entre pairs. L’énergie passée à entretenir la facticité d’une réalité qui sauve les représentations managériales est énorme. Le travail humain s’engage dans une spirale ascendante de souffrance. Une souffrance absurde, puisqu’elle n’est pas le passage obligé du bien travailler, mais plutôt l’injonction de travailler n’importe comment – en dépit du bon sens.

Mais l’homme ne peut pas se désintéresser de ce qu’il fait, et notamment de ce que son activité produit, sans atteinte grave à la dimension humaine. Lorsque le travail est réduit au labeur, il ne reste de l’homme que l’animal qui s’affaire à se maintenir en vie, et de la société humaine que l’interdépendance impensée de la fourmilière.

L’ analyse des activités de travail des services publics par exemple montre d’abord qu’elles sont, comme toute activité de travail accomplie dans le secteur public ou privé, à saisir dans l’articulation tri-polaire de « l’usage de soi », de la gestion, de la « politeia[1] » À la suite de Ombredane et Faverge[2], l’analyse du travail se fonde largement sur les recherches en psychologie et ergonomie conduites durant le vingtième siècle. Elle opère, notamment, une distinction fondatrice entre tâche et activité ou, pour reprendre l’expression de J. Leplat, entre « ce qu’il y a à faire » et « ce que l’on fait ». Cet écart, est toujours repéré, y compris dans les situations où le travail est présenté comme de « simple exécution » et où la prescription (fiche technique, procédure, instructions…) prétend rendre compte de la totalité de l’action. C’est pourquoi le « travail réel » ne correspond jamais exactement à ce que la prescription en dit. Dans cet écart, il y a toute la contribution que chaque opérateur doit apporter pour donner au prescrit son effectivité. La tâche n’est, ainsi, à proprement parler, jamais « exécutée » mais toujours repensée, réorganisée, transformée en fonction de situations concrètes variant constamment et de chaque sujet particulier dont la biographie, la formation, l’expérience sont singulières. Dès lors, au modèle qui réserve à certains la conception (des espaces, des outils, des processus…) et à d’autres l’exécution, les analyses du travail soulignent que la tâche est l’objet de plusieurs élaborations de la part d’acteurs différents, y compris les opérateurs eux-mêmes. C’est à cette mobilisation subjective dans les situations, cet « usage de soi »[3] que l’on réserve, en règle générale, le terme d’activité, marqué du double sceau de la singularité du déroulement des actions et des sujets s’y engageant. En effet, toute activité de travail réclame un investissement de soi -du corps, de l’intelligence, de l’affect…- du « corps-soi » dirait Y. Schwartz – impliquant la singularité de chacun pour accomplir des tâches répondant à des critères précis (éducatifs, gestion…). Cette confrontation, dans l’activité, de l’usage de soi et des critères ou valeurs dimensionnés initie des débats, des choix : qualité/quantité, sécurité/efficacité, sens du travail…Une foule de concepts sont donc mis en circulation de façon non programmée à partir de la notion d’activité. Peu différentes des activités de travail dans le secteur privé, celles des services publics semblent cependant en première approximation être plus perméables à la notion floue, mais néanmoins fortement présente, d’intérêt général.

Les trois orientations de l’activité que sont le travail, l’œuvre et l’action nous sont conjointement nécessaires : nous ne pouvons pas, sans grave dommage pour ce que nous sommes, détacher le vivant de l’humain, ce qui relève de la nécessité vitale et le reste. Car ce « reste » nous est essentiel, il porte notre façon de voir le monde, ce qu’il nous est tellement essentiel de partager et discuter avec les autres.

Le travail, labeur nécessaire, toujours recommencé, nous inscrit dans le temps du vivant (Arendt) : temps cyclique, sans début ni fin, où nous sommes interchangeables – cycle naturel de la naissance et de la mort, qui renouvelle indéfiniment les individus, indifférent aux personnalités. On comprend dès lors l’inflation d’exigence de reconnaissance qui emplit désormais la sphère du travail, ainsi que notre curieux rapport au temps – toujours « affairés », nous n’avons le temps de rien, dirait-on. Ce sont les symptômes d’intérêts fondamentaux qui tournent à vide et ne trouvent pas à s’investir. Car ce n’est que dans le registre de l’œuvre et de l’action que nous pouvons faire quelque chose qui vaille la peine non seulement d’être fait, mais mentionné, discuté, transmis, échangé – reconnu –, nous inscrivant dès lors dans un temps humain : un temps linéaire non pas cyclique comme celui de la nature, mais celui de ce que les hommes font dans et à leur monde – le temps de l’histoire, dans l’horizon du vivre ensemble qui est un « vivre parmi » .

La désagrégation sociale et politique va de pair avec la dépersonnalisation qui ne laisse au travail que des individus affairés à se maintenir en vie. Si l’essentiel est de gagner sa vie, si peu importe comment, alors à quoi bon discuter de ce que nous faisons, au nom de quoi s’engager, et pourquoi prendre le risque de s’opposer ?

Est-ce ainsi que les hommes travaillent ?

Les concepts élaborés par Hannah Arendt dans Condition humaine indiquent comment l’efficacité de la rationalité instrumentale à l’ère des prouesses technologiques peut s’imposer comme schème du fonctionnement mental, en prenant appui sur les caractéristiques de l’activité de ce vivant pas comme les autres qu’est l’être humain.

Le NPM est bien au service d’un rapport de force dans l’exploitation du travail. Ses accointances avec l’idéologie néolibérale sont manifestes, notamment par la fiction qu’il entretient d’un individu appelé à faire la preuve de ce qu’il vaut dans le cadre d’une mise en concurrence généralisée – comme si le travail n’était pas d’abord le lieu de l’activité collective, comme s’il se déployait dans le pur éther d’un rapport individuel à un réel qu’il ne s’agirait que de plier à sa volonté.

Hannah Arendt cherchait dans Condition humaine à alarmer contre les dérives d’une société où les progrès technologiques soutiennent une représentation du monde dans laquelle bien des hommes sont superflus. Ainsi, écrit-elle, au moment où l’humanité, grâce aux progrès techniques, pourrait réaliser son grand rêve : desserrer l’étau de la nécessité du labeur, ce qui est en passe d’être réalisé est le cauchemar d’« une société de travailleurs menacés d’être privés de travail ». « On ne peut rien imaginer de pire », ajoute Arendt ). Une société de travailleurs, c’est une société formée par des hommes qui ne comprennent plus ce qu’ils peuvent avoir d’important à faire ensemble, si ce n’est produire les biens nécessaires à la vie. Une société qui s’organise autour de l’idée que certains hommes sont superflus, voire encombrants, puisque les machines les remplacent. Une société qui persuade qu’au-delà des lois de l’économie ne résident que des chimères.

Le NPM est ainsi le renfort idéologique le plus puissant parce que le plus ordinaire – il n’affiche aucune option politique et se présente comme purement technique – du développement d’un mode d’organisation de la société selon lequel on n’a plus besoin de tout le monde. Selon une tout autre modalité, puisqu’il ne s’agit évidemment pas d’extermination, notre société poursuit cependant une vaine issue du totalitarisme, forme politique inouïe en ce que son cœur contient l’affirmation d’une superfluité des hommes. La fonction du nouveau management est en effet de porter à croire qu’il est nécessaire de repousser des hommes de plus en plus nombreux aux marges de la vie sociale. La banalité du mal prend aujourd’hui le visage de l’inflation évaluative des activités humaines : elle consiste à décider du sort des hommes sur la base de mesures censées évaluer objectivement la qualité de l’activité, en évacuant toute participation du jugement. Comme si les modalités humaines du vivre ensemble pouvaient relever de tels marqueurs : comme si l’exercice de la responsabilité dans la vie politique se bornait à reconnaître des nécessités économiques.

H. Arendt pointe donc dans la modernité un tropisme vers une déshumanisation de la société, qui opère par le truchement d’une représentation réductrice de l’activité, tendant à ne plus faire droit qu’à ce qui relèverait de la nécessité vitale. Mais il n’y a sous sa plume aucune fatalité. Ricœur parle de Condition humaine comme du « livre de la résistance et de la reconstruction » (Ricœur). C’est qu’à travers la distinction entre travailœuvre et action se met en place une anthropologie qui établit le registre spécifiquement humain de l’action comme la limite du faire, c’est-à-dire de l’œuvre, entendue au sens de ce que les hommes font exister dans leur monde.

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[1] Schwartz Yves, Le paradigme ergologique ou un métier de philosophe, Toulouse, octares, 2000.La notion de politeia ne reçoit pas une définition unique ; il s’agit des droits individuels du sujet liés à la cité, aux valeurs de la démocratie.

[2] Ombredane et Faverge, L’analyse du travail : fonction d’économie humaine et de productivité, Paris, PUF, 1995.

[3] Schartz Yves, opus cit

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Publié par faitetafaire1128

Qui suis -je ? Trop vaste question pour moi et pour vous. je suis un peu celui qui se refuse à s'en remettre aux autre sans comprendre par soi même . Je suis celui qui aime les personnes mais s attache peu au genre humain. Je suis un enfant des trains électriques, des petits cyclistes , qui allait voir décoller les avions au Bourget avec son père. Je suis un fils d'immigré républicain espagnol qui aime la France mais se désole du refus de mes contemporains d être ce que nous sommes, c est à dire une civilisation judéo chrétienne accueillante mais intransigeante sur l art de vivre à la française qui reste notre seul héritage. J aime la pensée, la philosophie , mais aussi la spiritualité qui forge les cultures. j espère que mes petites lucarnes , plus ou moins régulières- travail et ultra trail oblige- vous feront plaisir.

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