
« Quand l’amère nuit de pensée, d’étude et de théologique extase fut finie, mon âme qui depuis le soir brûlait solitaire et fidèle, sentant enfin venir l’aurore ,s’éveilla distraite et lassée. Sans que je m’en fusse aperçu, ma lampe s’était éteinte devant l’aube s’était ouverte ma croisée.
Je mouillai mon front à la rosée des vitres, et repoussant dans le passé ma rêverie consumée, les yeux dirigés vers l’aurore, je m’aventurai dans le val étroit des métempsychoses.
Aurores! surprises des mers, lumières orientales, dont le rêve ou le souvenir, la
nuit, hantait d’un désir de voyage notre fastidieuse étude désirs de brises et de
musiques, qui dirait ma joie lorsque enfin, après avoir marché longtemps comme
en songe dans cette tragique vallée, les hautes roches s’étant ouvertes, une mer
azurée s’est montrée Sur tes flots !Sur tes flots, pensai-je, voguerons-nous, mer éternelle, vers nos destinées inconnues ? nos âmes excessivement jeunes chercheront elles leur vaillance ?
Sur la plage m’attendaient les compagnons de pèlerinage je les reconnus tous, bien que ne sachant pas si je les avais vus quelque part mais nos vertus étaient pareilles. Le soleil planait déjà haut sur la mer. Ils étaient arrivés dès l’aube et regardaient monter les vagues. Je m’excusai de m’être fait attendre; eux me pardonnèrent, pensant qu’en chemin m’avaient arrêté encore quelques subtilités dogmatiques et des scrupules puis me reprochèrent pourtant de ne m’être pas plus simplement laissé venir. Comme
j’étais le dernier et qu’ils n’en attendaient plus d’autres, nous nous acheminâmes
vers la ville au grand port où appareillent les navires. Des clameurs en venaient vers
nous sur la plage »
Le voyage d’urien. André Gide
Je cite ce texte écrit à l’aube du XXème siècle pour sa dimension idéaliste et poétique. Un voyage intérieur au cœur d’une chambre et des affres de l ‘émotion.
Cette écriture vaincue par toutes sortes de création littéraire moderne reste un héritage du passé mais elle nous dit ne pas recherchez la connaissance pour elle même. Tout ce qui ne procède pas de l’émotion est , en poésie de valeur nulle.
Emotion conçue comme sentiment d’étrangeté.
L émotion abolit la chaine causale; elle est la seule à faire percevoir les choses en soi; la transmission de cette perception est la poesie.
Cette identité de buts entre philosophie et poésie est cette source secrète de la complicité qui les lie . La poésie littéraire c’est être en tête à tête avec l’ éternité.
Il en est de même avec ce texte de E. Jünger ou de Parménide .
VISITE A GODENHOLM
Les criaillements des oiseaux s’achevaient par des éclats de rire railleurs et discordants. Ils semblaient annoncer une naissance solennelle — clameurs prophétiques de bêtes augurales, qui précèdent la marée des images. Ils évoquaient les douleurs de la gésine, auxquelles Moltner résistait de toute sa force — bientôt, les visions allaient monter de l’abîme.
Lorsqu’il suivait la frange du rivage, il arrivait qu’il fit s’envoler par instants une bande d’oiseaux gris. Il voyait alors, tandis qu’ils battaient des ailes, stridents, autour de sa tête,- le poisson qui les avait assemblés, fantôme argenté, aux yeux exorbités,’ au ventre ouvert à coups de bec. Ses entrailles blêmes avaient été traînées à travers la plage. Cette image l’obsédait lorsqu’il entendait leurs cris, mais, en vertu d’une étrange inversion, il y trouvait Ie présage d’un éventrement.
Un frisson de fièvre le secoua ; il se tapit frileusement dans son manteau. Le temps était venu de mettre fin à tout cela. Il partirait dès demain. Il se le dit à lui-même, tout bas ; ces monologues devenaient fréquents. « Mieux eût valu le Sahara ; on aurait au moins vu le soleil. Mais c’est ma faute, si je me suis tant attardé après tout, j’aurais dû savoir ce qui me convient. »
La mer était si paisiblement lisse qu’à peine ourlait elle les falaises d’un friselis d’écume. Des oiseaux marins reposaient par groupes sur les ondes. On eût dit que la mélancolie, la déréliction du rivage prenaient au spectacle de ces rêveuses escadres une profondeur nouvelle — comme si le vide se fût noué en elles. Par instants, il élevait sa voix dans le cri d’une mouette. »
LE POEME
« Les cavales qui m’emportent, aussi loin que l’élan du cœur
peut atteindre, avançaient. Elles m’avaient conduit sur la route
riche en leçons de la divinité, route qui traverse les demeures
des hommes pour porter celui qui sait voir. C’est sur elle porté
que j’allais de l’avant, sur elle que, très avisées, m’entraînaient
les cavales attelées à mon char, tandis que des jeunes filles
guidaient la course. Et l’axe qui chauffe dans les moyeux jetait le
cri strident de la flûte, pressé des deux côtés par le cercle des
roues, quand les Filles du Soleil, une fois derrière elles les
demeures de la nuit, hâtaient leur course vers la lumière,
repoussant de la main les voiles qui couvraient leurs têtes. Là
sont les portes qui ouvrent sur les chemins de la Nuit et du Jour,
encastrées entre un linteau, en haut, et en bas un seuil de
pierre. »
Parménide
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