PHILOCALIE SUITE
Dieu s’est fait sarcophore porteur de chair pour que l’homme devienne pneumatophore porteur d’esprit.
Cette phrase est toute une cosmologie, l’alliance de la chair, ce que nous sommes et de l’esprit ce qu’il nous reste à accomplir. Elle nous dit que Jésus dans la passion fut meurtrie, par la souffrance, dans sa condition humaine mais que l’ homme par la spiritualité peut s’élever dans sa condition humaine et toucher à la création.
Laissons jésus de côté et restons sur la dimension spirituelle.
Une anecdote dis que dieu fut créer par les hommes pour mettre fin à ce questionnement infini que les enfants sont les premier à formuler: pourquoi ? Pourquoi ceci ? Pourquoi cela ? Dieu dans son usage religieux met fin à ce questionnement critique. Parce que dieu le veut, c’est ainsi.
Mais la gnose, l’alliance de l’esprit et de la liberté recherche dans un chemin de connaissance une étude pleine et entière de la création, du chaos, du tohu bohu, de l état du monde tel qu’il est.
Une étude philocalique permettrait sans doute d’approfondir à partir du soi-même les chemins tortueux pour s’élever dans l’ascèse.
Après le premier article très dense peut être faut il par la création tenter de dessiner une autre approche, littéraire, mais dans l’esprit de l enseignement des pères du désert.
Alors essayons ce pari.
De l éclat de ce monde
Un peu de rosée au bord d’un sceau
« Alors Joseph, en possession d’un linceul, descendit Jésus de la croix, l’enveloppa du linceul blanc. Or à cet endroit, au lieu où Jésus avait été crucifié, il y avait un jardin et dans ce jardin, un sépulcre ouvert, où personne n’avait encore été mis.
Les femmes qui étaient venues de la Galilée avec Jésus, virent le sépulcre et la manière dont le corps de Jésus y fut placé. Joseph roula une pierre à l’entrée et s’en alla.
Marie-Madeleine et l’autre Marie était là, assises en face du tombeau ; puis s’en étant retournées, elles préparèrent des aromates et des parfums.
Le premier jour de la semaine elles se rendirent au sépulcre, de grand matin, lorsqu’il faisait encore obscur : elles virent que la pierre en était ôtée, et, étant entrées elles ne trouvèrent point le corps du seigneur.
Si vous cherchez Jésus de Nazareth, qui a été crucifié ; il est ressuscité ; il n’est point ici : voilà la place où on l’avait mis .
Une longue journée, une nuit de ténèbres, voilà ce qui précède pour ceux qui accompagnèrent le seigneur jusqu’à la croix.
Le Sabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le Sabbat ; mais qu’elle fut glacée la nuit où la pierre fut roulée au-devant du sépulcre.
La lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont point accueillie ; cette pensée accompagnait-elle Marie-Madeleine quand, dans sa nuit, elle prépara les aromates.
Que reste-t-il après les divines heures d’un chemin de lumière s’achevant ainsi, un soir au pied d’une croix ; l’homme crucifié pleure des larmes de sueur et de sang mêlés.
Si rouge, si profondément humain, le sang se répand du corps meurtri- Sur la croix, seul un regard grimaçant entre cette homme et cette femme, témoigne encore d’un amour infini. Mais l’hémoglobine est partout. Comment ne pas baisser les yeux devant la mise à mort qui jette dans les cœurs deux mains traversées par des clous.
La couronne d’épine, le souffle court, les rires sont alentours.
Une beauté dépouillée, nue, est-ce assez pour espérer…
Marie-Madeleine pleure, à genoux, la perte immense d’une chair déchirée qu’elle tenait dans sa main, sur les chemins de l’exil. Elle se souvient en cette nuit de ces mauvaises routes qui meurtrissaient les corps. Il restait là, en ces temps, pour supporter les plaintes.
Qu’elle dû être longue cette aurore à poindre.
A-t-elle sommeillée, peut-être… la chair est faible, le joug bien lourd.
La grande pièce carrée et déserte était plongée dans une demi obscurité. Deux rais de lumière parvenus de la taverne apparaissent le long des montants mal-ajustés de la porte d’entrée. A ses pieds, sept rouleaux.
Marie-Madeleine écoute la nuit, seule puissance qui lui reste et se rend au sépulcre lorsqu’il fait encore obscur.
Elle devance son aurore mais le matin n’est pas levé. Dans l’autre sens elle refait le chemin de la veille vers son bien aimé.
La pierre est roulée, le sépulcre ouvert sur le tombeau.
Saisie, effrayée, elle n’est pas entrée de suite, qui pouffait faire le premier pas dans cette nuit, revoir le linceul.
Elle ne trouve point le corps de l’enseigneur. L’aurore se fait et la nuit cesse, pour Marie-Madeleine il est ressuscité. »

Ce que j’ai vu, je l’avais imaginé, aux détours de visages, longtemps auparavant puis oublié, mis de côté, je n’en crois pas mes yeux. A trente ans j’ai commencé à distinguer que la vie a une fin, qu’il y a deux sortes de réalité. La première commence avec nous et nous tient chaud un certains nombres d’années, parfois jusqu’au bout. Ce qui est rassurant alors c’est que rien ne paraît définitif, joué, inconciliable, distinct, perdu.
Le mal-être, ogre des âmes, figure repoussée dont la rencontre nous fait pâlir vit entouré de nos attentes mais elles ne lui ressemblent pas. La vie est belle faute de…
En l’absence de point elle est compatissante. Et puis le temps passe. On s’applique dès lors à reconnaître ce qui est notre, le territoire imparti, la marge de manœuvre, la ligne d’ombre pointe.
Cette seconde réalité c’est le contour, la topographie exacte de ce qu’il me faut. Il n’y a plus de chose distincte, que des comptes. C’est le moment des pertes, de la cruauté, on est raisonnable.
Mais il importe de reconnaître que le sérieux, celui qui a compris, appris, attend. Il attend le champ des possibles, rien ne peut plus nous être enlevé, hormis un téléphone portable, nous sommes dépouillés, c’est l’absence de cette idée de rencontre merveilleuse qui nous revient parfois, le soir, le jour, toujours en trop et le temps ne semble plus avoir besoin de moi.
Notre oubli est de la réalité, la vie entre le songe et la raison.
Or, la première réalité imagine toujours autre chose que ce quotidien, espère un sens différent que ce que l’on trame. Elle est là, archaïquement présente dans notre chair.

« Chaque matin, sans bruit, elle pense à son père.
Sa promenade, loin de l’éloigner de lui, la retient aux bords des larmes. Tant de beauté, un silence rempli de vie d’oiseaux, d’insectes, fin de l’automne ; l’épaisse couche de feuilles qu’une semaine de vent ininterrompue a rassemblé est en train de voleter doucement.
A l’intérieur de la maison Arsène, son père, est assis devant la fenêtre, il lit. Elle marche lentement avant de se décider à le rejoindre.
- « Tu ne vas pas dire, déclare Myriam à son père, que David et Jean sont du même avis ! »
- « Je ne veux plus rien raconter » dit Arsène en ne levant pas les yeux dc son livre. – « Eh bien restons en là » conclut Myriam.
Le soir du même Jour Arsène reçu deux nouveaux amis : Xanthou et Isaac.
- « Dites-moi, demande Arsène quand ses hôtes furent installés, notre temps est-il celui du plaisir et de la déconvenue ».
- « Je n’ignore rien des démons qui t’assiège » répondit Xanthou.
- « Pour ma part murmura Isaac je crois qu’il est bon que tu restes éloigné de la grande place et des controverses.
Xanthou reprit : « Arsène tu es riche, sage ; tu possèdes une grande demeure, une fille déjà plus lettrée que les conseillers du clan… que peux-tu attendre de notre visite ! »
– « Tout n’est-il que douleur ? Voilà ce qu’il me faut savoir. Faut-il naître et décliner inexorablement, subir ce que l’on déteste, être séparé de ceux qu’on aime. Ma vie gît dans le mal et n’est que cela ».
« La création est bonne Arsène, elle est consistante, bonne justement dans sa diversité. Elle n’est pas faite d’atomes impermanents, qui se transforment sans arrêt et disparaissent en donnant naissance à d’autres ».
Isaac : « toute parole qui nous est transmise est une parole entendue, elle garde la matrice de celui qui écoute. Je t’écoute Arsène, mon oreille c’est celle d’un laïc, moins attentive aux écrits dogmatiques que celle de Xanthou, moins soucieuse d’une parole unique et rassurante. Je me soucie de cet homme de connaissance, je vois ta figure Arsène. Il faut s’éveiller à notre propre état de conscience, à notre liberté sans limites et cela, même au cœur des périls les plus forts.
« Tu possèdes une double conscience qui contemple dans un regard unique l’absurde et la grâce.
L’absurde ne pourrait être ton malheur, la grâce ne la vois-tu pas chez ta fille.
L’absurde c’est que tu es poussière et que tu retourneras poussière.
La grâce c’est que tu es lumière et que tu retourneras à la lumière. Notre réalité c’est que nous sommes les deux.
Il existe Arsène une connaissance par les livres, que ta bibliothèque est belle ; la rencontre, je suis ton ami ; la présence des autres, vois ta fille, elle est vivifiante. Il existe aussi : une connaissance par le soi-même, le vivant qui est en nous ».
Au dehors Ie vent se lève, il ouvre la fenêtre.
« Ecoute Arsène le vent échappe à toute saisie et s’enracine dans un ailleurs, il est libre. L’homme est Ie souffle, le vent ».
« Mais quel est donc le combat en cette vie » ajouta Arsène. « Mon âme de raison s’unit à un corps vivant, qui a une existence terrestre et je le sens pencher de tout son poids »
« Si je suis ta pensée Arsène rien ne tiendrait. Nos efforts salutaires, et nous en faisons, seraient voués à l’échec. Alors il n’y aurait rien. Tu ne peux raisonner ainsi. Nos souffrances sont nombreuses mais l’esprit est suspendu par sa racine à l’infini, cela je le crois mon ami ».
Au début la présence de ses amis, de sa fille ravivaient tous ses souvenirs heureux ; maintenant Arsène est contraint d’entrer sans préambule en conversation ou de s’en aller, pour que son désarroi ne le fige pas tout à fait. Il parle encore longuement avec sa fille ; il ne semble pas se rapprocher de Myriam mais plutôt se perdre en elle.
Une seule pensée, fugitive, le rassure : la fine silhouette de sa fille dans Ie jardin, cette féerie incandescente. Elle a trouvé le bonheur auprès d’Agios.
« L’oubli n’a par lui-même aucune puissance. Mais il tire sa force de nos négligences ». Ses amis partis, sa fille retournée auprès de son époux, il reprend sa lecture : « Les écritures, ce patrimoine de beauté, ne produit rien de ce qui nous est donné pour notre usage. Elles répriment la démesure et elles corrigent la déraison. Nul ne peut défendre à l’homme de manger ou de faire des enfants, ni de posséder des biens et de les gérer comme il faut. Mais elle nous met en garde de ne point devenir gourmand, d’être l’esclave de ses sens. Nul ne peut nous empêcher de penser à ces choses car elles ont été faites pouf cela. Mais devons nous y penser avec passion, ne plus vivre que par elles ? »
Parmi les passions, les unes sont corporelles, les autres sont psychiques. Les passions corporelles ont leur source dans le corps. Les passions psychiques ont leur source dans les choses extérieures.
L’amour et la tempérance éliminent les unes et les autres. L’amour élimine les passions psychiques. La tempérance élimine les passions corporelles. Bienheureux l’homme qui peut aimer tous les hommes également .
Sommes nous cet homme là murmura Arsène. Il se rappelle les paroles de son père lorsqu’il avait une dizaine d’années. Celui-ci racontait souvent que tout art exige du temps et un long apprentissage ; à l’agriculture nul se se risquerait sans expérience ajoutait il ; ni sans initiation à l’exercice de la médecine. La terre et les malades en souffriraient ; mais pour la plupart des hommes la connaissance de soi, de la vie, des mystères, ces choses si diverses semblent innées ou aisées pour la plupart. Reprenant sa lecture il lit à haute voix : « les fruits de l’homme ne brillent qu’à force d’étude, de temps, de persévérance, d’endurance et de patience ».
Arsène pose le livre sur ses genoux, ferme les yeux.

Les lumières appartiennent aujourd’hui à notre patrimoine ; quand on s’échappe elles nous saisissent encore par le droit, la technique…
La raison, la connaissance sensible ne cesse de m’assaillir. Je veux retrouver un souffle. Mon quotidien me détrompe. J’attends le bonheur là où je prends du plaisir ; je souhaite vivre l’essentiel et me perds en conjecture sur le sens de toute chose.
Je recherche une sorte de sagesse, comme tout le monde, et mène une vie sans conduite.

Arsène se réveilla au petit jour, le livre à ses pieds. Sa fille ne viendra pas aujourd’hui. Il pourra prier plus longtemps pour l’âme de sa défunte femme. Juste avant l’été il l’avait retrouvé le sang empoisonné par une de ses drogues.
Arsène ferme les yeux et voit son épouse, rien de plus.
Le cœur toujours battant il pense à elle, les mains serrées. On passe simplement d’un néant à la mort. Pour s’inquiéter de la mort encore faut-il vivre, la mort est un luxe, une grâce pour les vivants, le cadeau de ceux qui ont vécu.
Lit tortueux que cette pensée qu’il faudrait chasser.
De nouveau la solitude, l’attente du passeur, le vide.
Assis sur la chaise il regarde de l’autre côté de la fenêtre, à quelques kilomètres, le piton rocheux qui lui fait face.
Il ne reste presque plus rien de son présent, à part son chagrin, bien sûr.
Arsène entend des hurlements terribles.
Par la fenêtre il voit. Que voit-il ?La foule s’acharne sur quelque chose ou sur quelqu’un. Un animal, un homme, une femme ? C’était un vieil homme, car il n’a plus de vie ; la tête décollée est brandie par un partisan de Nani. Voilà il voit ; la folie de la foule, l’horreur des fanatiques, la vie sans épaisseur. Il murmure livide : « Pourquoi ont-ils fait cela ? Quels desseins accomplissent-ils ? »
Maintenant les ténèbres recouvrent tout.
Comment voir dans cette nuit ? Rien ne viendra me secourir.
Au loin, sur la place, à l’aube, la foule reprendra son chemin vers une autre bâtisse, une autre tête en trop.
Arsène pleure, ses larmes lui tiennent chaud.
L’homme est ainsi fait que les secrets qu’il se prodigue à lui-même suffisent à le lier.
Au commencement n’était ni le verbe ni la lumière.
L’eau flibustait la roche minérale, l’au-dessus s’accrochait à l’ici-bas. Puis les flots, la pluie se couchèrent au sol. La pierre jetée face contre terre devint terrienne dressée au cœur du rocher ou marine inondée au lit du torrent.
Noire en son for intérieur la mer apparut bleue en surface.
Arsène se revoit, avec elle, assis sur l’escalier de pierre qui descend à la met : je voyais l’océan se hisser vers l’astre incarnat. La vague blanche au plus haut d’elle semblait bénie. Un sursaut de sauvagerie me fait envier cette éternité. L’une après l’autre, sans crainte d’une mécanique, elles vont jusqu’au bout. L’engrenage se déployait devant mes yeux sans idée de bien ou de mal, dans un présent identique providentiel.
La côte dès lors blesse à peine l’onde passion qui déborde. Plus loin, plus haut, la céleste blancheur s’arrachait à la surface bleue, passait le sable, le port, s’abandonnait à nos pieds.
Je suis sous le vent qui devenu plus fort veut me chasser.
Les ventis ne bougent pas, le vent est fol. Le vent agite l’air et l’homme devient mauvais. De la tête à la voilure la vergue choit, les enfléchures grandissent, la voile ne couvre plus, le marin, homme raisonnable, s’enferme.
Les enfants seuls investissent les rues vides. Chaque branche arrachée est le prix du danger. Ils galopent, se figent, jamais seuls, souvent deux, ils dérobent un vieux panier d’osier.
Devant mes yeux les déferlantes se dressaient et s’esclaffaient à quelques mètres du rivage pour finir frémir jusqu’à l’extrême limite de l’énergie motrice. Dans cette immanité au large dès l’origine le temps fuit irréparable.
Dans le ciel au fil des flots, trois alcyon jouent du reflet du soleil dans nos yeux.
La vie que Je mène à présent, sans elle, est faite d’éparpillement, de mes sens, de la rosée du matin et de ces têtes qu’on arrache.
Comment pourrais-je me retrouver, me recomposer, m’unifier, ne pas me sentir défaillir sous Ie poids des vœux que je formule, du sentiment de manque qui m’assaille. Je suis le sixième jour d’achèvement, mais je reste sans volonté face à la création.
Il convient que Je parte, fuir, redevenir nomade comme mes ancêtres, errant, quitter ma fille et garder les yeux ouverts sur le vaste monde.
Aller chercher ce que j’ai déjà, présent, mais que Je ne reconnais pas. La grenouille ne vient pas détruire le têtard, elle l’accomplit-Ce n’est pas en écrasant la chenille qu’on l’aide à devenir papillon.
Il faut que j’accomplisse, petit à petit, dans ma vie, le passage.
Selon l’adage des anciens, « tout ce qui n’est pas assumé n’est pas sauvé ». Il faudrait voir les êtres et les choses comme un peu de rosée au bord d’un sceau ; ce peu de gouttes suffiraient à refléter la lumière levant et à ma réjouir. Mais je ne vois que violence, apathie, mélancolie.
Ma seule joie finalement réside dans mes richesses.
Mais chaque matin mon miroir conserve l’empreinte du vide qu’elles représentent.
Que faut-il faire pour être sauvé ?
Arsène ne doutait pas de la réponse, c’est au fond de son cœur qu’elle résidait.
Quand il reprend ses esprits Ie soleil est haut dans le ciel. Il se lève de sa chaise, dans son coeur trois mots sont gravés : fugue — Tace – Quiesce ; fuis, tais-toi, connais le repos.
Il avait déjà la mémoire de ces paroles. Il lui fallait partit loin de la ville, au désert, dans un monde ou la solitude et le silence sont les seules richesses. Oubliant le chemin parcouru il devra s’enfoncer davantage dans le silence, le désert.
Le désert physique se trouve aux frontières de l’espace et du temps, il n’y a rien à voir, à trouver, c’est une bonne place pour la lumière pense-t-il.
Je dois fuir l’essentiel, le monde ou je me perds, pour revenir à la vie, à la joie, partir.
Abraham abandonna sa terre, sa famille pour aller en un lieu qu’il ignorait.
Peut-être cela me donnera-t-il la certitude des réalités que je ne vois pas.
Pour partir point n’est besoin de se charger. Il emporte sa recherche, quelques monnaies, le vieux bâton de son père. Il passe la porte et prend son chemin.

Je doute qu’une braise résume l’inconnu, mais l’immanence des destins apaise notre inquiétude. Le partage plus serein des misères rend peut-être moins étrange les poussières de beauté en nous déposées. La beauté en soi ne s’interprète pas, seul importe les fragments de rencontre à saisir.
Parfois nous sommes comme diminués de vie, nous portons en nous, autour de nous, des limbes de lenteur. Si proche de certains objets naturellement lourds nous y sommes parfois assemblés.

Arsène prend le chemin, il atteint les dernières demeures du village de Thebaïde. Sur la route il croise quelques fellahs qui rentrent du champ. Derniers regards à peine échangés. Quitter ma demeure aux divers domestiques, l’amour de ma fille, mon poste et le savoir, les nombreuses voluptés que mes richesses accordent, voilà le souffle qui conduit mes pas.
Le voilà pris entre ciel et poussière ; il connaît déjà le soleil, il apprendra les nuits glacées. Comme un voleur le voilà prisonnier d’un espace sans limite, d’un paysage abstrait, d’un monde inhospitalier, bientôt le désert.
Arsène marche en direction de l’Est et parvient après plusieurs jours à la limite du désert. Il cherche une hutte, un vieillard y demeure, il se nomme Abba Maroze.
La renommée de l’ancien était grande autre fois. Pour certains c’est un saint, pour les autres un fou, un odieux criminel qui a fui le monde et ses fautes.
Il semble à Arsène qu’il a toujours entendu parler de lui, milles histoires traînent sur son compte.
Son nom sert à effrayer les enfants, il exalte les plus pieux.
Comme une mer de glace Arsène touche au désert.
Le désert occidental de l’Egypte n’est pas de sable mais de sel. Espace minéral et blanc, les vents n’attaquent plus la croute figée de cristal. Une mer figée dans l’éternité fossile des écorces, des ossements, et des arbustes.
Dans un tel monde l’homme est inutile, un étranger total, il n’a nulle place.
Ici c’est l’éternel été, l’interminable hiver qui tranchent les âmes et ensevelis les ombres.
A la pointe du jour Arsène reprend son chemin sans savoir où se situe la hutte qu’il recherche.
Le soleil arrivé en son milieu rend l’air si ardent qu’il semble tout enflammé. Il distingue alors une hutte de banchages.
Arsène frappe à la porte. Nulle réponse. Il sait que les ermites n’ouvrent pas les portes au soleil de midi.
Le soir il frappe à nouveau, la porte reste close. En ce lieu abandonné il est peut être seul, l’Abba sans doute ne vit plus. Alors où aller ? Il se met à considérer cet endroit : des étendues de pierres, quelques palmiers, un peu d’herbe, au loin des mamelons, des collines livrées au soleil.
Il est brûlé par l’atmosphère sans pouvoir anticiper ce qui l’attend. Au loin le sel s’élève par pointes ainsi que des épées, une mer sans espoir. Il tire de sa poche quelques feuilles de choux crus pour les manger et prend un peu de repos à même le sol…
A l’aube du troisième matin la porte de la cabane est ouverte. Un vieillard enveloppé dans un manteau de bête se tient en prière, debout, les bras en croix. Trois longues heures passent, l’ancien regarde par la lucarne, le voit.
Après s’être donné le saint baiser, l’Abba s’étant assis, lui dit rudement : « Pourquoi frappes-tu ? »
Arsène dit : « je viens de la ville, j’ai marché une longue semaine, j’attends depuis trois jours. Je voudrais que tu me gardes à tes côtés ».
L’Abba refuse et l’enjoint de retourner chez lui, auprès de sa fille et de ses richesses : « Ta place n’est pas ici, passe ton chemin, retourne-toi. Que viens-tu chercher
« Je viens pour ne point dormir, être éveillé ; je suis de passage, je viens lutter »
Abba dit : « Lutte et installe toi. La lumière que tu cherches ce n’est pas n’importe qu’elle lumière. Ils sont nombreux ceux qui prennent le chemin, peu trouve la réponse. Il te faut rester à … » il s’interrompit. « En été je mange un peu d’insecte et, en hiver je prends une poignée de pain.
Je ne bois que peu d’eau, du sel, je veille chaque nuit et je prie au soleil ».
Arsène pénétra dans la cabane comme dans un sanctuaire.
Le lendemain il s’installe dans une grotte au creux d’une colline voisine. Il n’a pour toute nourriture que du pain et du sel et pour breuvage de l’eau.
Il a un lit de joncs et un cilice. Il va vivre dans ce sépulcre, fermer la porte sur lui et y demeurer.
A la nuit tombée, chaque jour, Arsène s’assit auprès de l’Abba.
-« Pourquoi Abba, les fils de Dieu sont faits de colère ? » demande un soir Arsène.
-« Parce que l’homme est ténèbres, s’il donne un coup de hache à l’acacia, il émet de la gomme. Mais l’homme est lumière, s’il adresse une prière à son cœur, il recevra le bien », répond l’Abba.
-« Pourquoi Abba faut-il partir au désert pour retrouver le souffle divin ? »
Abba dit : « Tu n’as pas bougé. Depuis toujours tu vis au désert. Tu es du sel et de l’eau. Tu es le vin et le pain. Le désert tu le porte en toi. Les richesses et la vraie gloire s’évanouissent comme le sable sous le vent. Mais dis-moi Arsène se trouve-t-il encore beaucoup d’homme si aveugles d’erreurs qu’ils adorent ces démons ? »
-« Ils sont nombreux Abba. Sur le point d’être réduit en poussière ils construisent des bâtiments de plus en plus haut. Ils se croient jeunes mais la barbe blanche qui couvre leurs cœurs n’attirent que le goût de l’or. L’amour égoïste de soi règne sur les âmes, la charité est devenue une pieuse offense à la raison.
« Ne juge pas trop sévèrement ces hommes. Car l’enseigneur a dit : « tu ne jugeras point ». Il y avait, sais-tu, en Thébaïde un ancien nommé Hélias qui avait près de 90 ans. Des riches hommes de la ville vinrent le voir pour l’amener à la négligence par la longueur de sa solitude. Ils lui dirent : « vieillard, que ferais tu, si tu avais toutes nos richesses « . Il leur répondit : « vous m’avez grandement affligé, car je pensais posséder déjà toutes les richesses ».
Arsène ne juge point avec les yeux ; l’âme seule est une source ; si tu creuses, elle se purifie ; si tu amasses de la terre par-dessus, elle disparaît ».
-« Mais Abba pourquoi m’a-t-il fallu fuir pour trouver la lumière ? Pourquoi le monde est-il mauvais ? »
« Le monde est bon, sensible, ce qui nous condamne ce n’est pas que des pensées entrent en nous, mais que nous en usions mal ; en effet, nous pouvons faire naufrage à cause de nos pensées, et être couronnés à cause de nos pensées. Si tes lèvres sont pures nul rouge ne pourra les gâtées ».
Et puis chaque soir, la nuit venue ils récitaient les douze psaumes, et semblablement jusqu’à l’aube.
Arsène demeure ainsi pendant plusieurs mois sous l’obédience du père.
Un soif, Arsène s’assit auprès de l’Abba. Il sentait sa vue s’obscurcir et sa peau devenir aussi dure que de la pierre ponce.
Les montagnes arides, les gorges, le ouadis, le soleil et le sel, aussi vide que le désert, commençaient à réduire sa force et sa volonté.
-« Père, est-il bien d’habiter le désert ? »
– « Veux-tu que je te dise ce que je sais ? »
Arsène dit oui de la tête.
-« beaucoup ont accablé leur corps sans discernement, et s’en sont allés sans rien posséder. Ma bouche sent mauvais à force de jeunes, nous savons par cœur les écritures, nous connaissons tous les psaumes de David, mais nous ne vivons pas ce que Dieu recherche : l’amour , l’humilité .
Il faut s’appliquer à travailler peu à peu et nous serons sur le bon chemin.
Ecoute : un grand personnage prenait plaisir à voir les chasseurs, et il ne souhaitait qu’une chose, qu’ils soient blessés par les bêtes sauvages. Mais il lui arriva d’être en danger et il cria vers Dieu : « seigneur, viens à mon secours en ce malheur I »
Alors le seigneur lui apparut le corps entièrement couvert de blessures et lui dit :« c’est ainsi que tu veux me voir et comment pourrais je te porter secours Le salut est dans le désert et ailleurs, dans le monde.
-Ne tiens jamais le pire pour assuré, tu es bien plus grand que tu ne le crois .
L’ancien dit encore : « Tout mal qui n’a pas été consommé, n’est pas un mal ; et toute justice qui n’est pas consommée, n’est pas justice. En effet l’homme qui n’a de pensées ni bonne ni mauvaise est semblable à la terre de Sodome qui est salée et ne produit rien de bon.
Le juste fleurira comme le palmier.
L’ancien se leva ; fit une prière et le reconduisit en marchant devant lui jusqu’à la porte tandis qu’Arsène était tourmenté par ses pensées.
L’ancien met la main à la porte pour l’ouvrir, mais comme il vit Arsène si fort tourmenté il se tourna vers lui et dit : « Qu’as-tu ? Moi aussi je suis un homme. »
Lorsque l’Abba prononça cette parole Arsène se prosterna à genoux en le suppliant avec des larmes dans les yeux en disant :« Aie pitié de moi ».
Il lui dit : « qu’as-tu » ?
Arsène reprit : « Tu le sais, pourquoi faut-il le dire » ?
-« C’est toi qui doit dire ce que tu as ».
Couvert de honte Arsène ajoute : « je crois que j’ai fui ma vie pour me fuir moi même, pas pouf rencontrer dieu. J’ai fuis mes tourments, mon secret, je ne suis pas digne de toi.
L’ancicn lui répondit : « Ne suis-je pas un homme moi aussi ? N’y a-t-il pas près d’un an que tu es ici avec ces pensées et que tu ne les sors pas. Dieu n’est pas venu sauver les justes, mais les malheureux.
Arsène se prostcrna devant lui. L’Abba le laissa étendu à ses pieds, se tu un instant et lui dis :« lève toi, sois intelligent ».
L’ Abba s’assit en prière, il tournait Ie dos à Arsène, les mains croisées et le visage tourné vers l’orient.
Au matin, Arsène revint auprès de l’Abba, son corps desséché était sans vie. Sur le sable il était écrit : « Père Arsène, enterrez le corps de votre ami, rendez la poussière à la poussière. N’acquiesce pas à toutes les paroles. Soit lent à croire, prompt à dire la vérité. »
Après avoir enseveli son corps Arsène partit pour le désert. Il marcha un jour
Vers le soir il lui sembla entendre le son affaibli d’une voix qui sortait de la terre. Il chercha l’entrée de la grotte ou du trou et, étant entré, découvrit une petite vieille, une moniale qui était couchée et paraissait malade.
Il lui demanda .« Quand es-tu arrivé ici, mère ? Qui s’occupe de toi ? »
En cffct il ne voyait rien d’autre dans la grotte, qu’elle seule.
« J’ai passé dix huit ans dans cette grotte au désert, à moins d’un jour de marche de mon époux, l’Abba Marose, répondit-elle. Jusqu’à ce jour je n’ai pas vu d’homme. Je sais que mon époux est mort. Dieu t’a envoyé pour ensevelir mon corps ».
Sur ces mots, elle s’endormit à jamais.
Arsène prit le corps dans ses bras et retourna à la cabane. Au matin, il coucha la moniale à côté de l’Abba.
Le revoilà revenu sur ses pas, à la ligne frontière entre les montagnes arides et le désert; Il reprend le chemin de la ville après avoir recouvert de sable les deux corps.
Arsène revint en Thébaïde à la nuit tombée. Son dessein n’était pas clair ; il quittait le désert, la tentation de se réduire jusqu’à ne plus être, pour un ailleurs qu’il ignorait encore.
Pour l’heure il pense à sa fille, à son visage, à ses amis, à toutes les richesses humaines qui lui font défaut.
Il ignorait les dispositions que sa fille avait prise concernant sa maison. Peut-être Hagios l’avait-il cédé, peu importe.
A la vue des premières villas il hâte le pas et se dirige vers la demeure de sa fille et de son époux.
A sa vue les serviteurs de Hagios s’arment de bâton, sortent les chiens.
Dans sa nouvelle physionomie nul ne peut le reconnaître. Il ne les blâmes pas. Le voilà contraint de fuir pour échapper aux morsures cruelles des chiens de garde.
Arsène passe la nuit dehors, une de plus, mais cette fois au bord de la rivière. Le bruit de l’eau qui coule. La nuit est tombée et il plonge ses mains ouvertes dans le courant.
Une douce brûlure parcoure ses bras, cette nuit est une fête, une retrouvaille avec le monde sensible. L’herbe est fraîche, accueillante, un linceul de verdure, un repos presque infini pour ses épaules meurtries.
Le regard porté sur les étoiles, une couche épaisse, le courant de l’eau qui file à ses pieds.
Dieu est au désert mais il ne peut être absent en cet instant. Celui qui veut apprendre un art peine et commet des fautes au début ; je ne me décourage pas, je recommence et même si je gâche de nouveau le travail je n’abandonnerais pas.
Je me souviens de l’Abba. Il disait : « enlève les pensées et personne ne sera saint ». Pourquoi fuir cette tentation utile, celle de la vie, c’est renoncer à la beauté de ce monde.
Mon corps est précieux, nous sommes possédés l’un par l’autre. Je t’ais méprisé, profite de cette herbe verte, repose toi, je veillerais à t’aimer.
Le lendemain qui était un vendredi, Arsène revint aux portes de la demeure de sa fille. Elle était là dans le jardin. Sans attendre elle couru vers lui, dans un même souffle leurs corps se referment l’un sur l’autre.
« Ne dis rien père, laisse moi te mener dans ma demeure. Je savais que tu reviendrais, le jour que tu aurais choisi. Laisse moi te regarder. Tu as du vivre loin des hommes pour être ainsi vêtu. Ne dis rien, tu as le temps, tu es ici chez toi ».
D’autres avaient reconnu Arsène, les chefs de la synagogue, prêtres et lévites se rendirent en hâte chez sa fille.
Celle-ci sortit à leur rencontre et leur dit : « Paix à vous ».
Ils firent écho : « Paix à toi et à ton père, à toute ta maison et à la sienne ». Elle les fit entrer.
Puis, le Conseil prit place et Arsène vint s’asseoir entre sa fille et le rabbi. Mais nul n’osait lui adresser la parole. Alors sa fille dit : « Pourquoi êtes vous venus ? » Ils firent signe à Rathou de lui répondre. Celui-ci ouvrit la bouche et s’adressa à Arsène : « Eh bien, les vénérables docteurs, les prêtres et les lévites aimeraient entendre de toi une parole.
-« Dites moi donc laquelle » ajouta Arsène.
– « As-tu des choses à nous cacher Arsène ? »
Arsène répondit :
-« Je ne vous cacherais rien ».
-« Nous avons été très étonnés que tu partes ainsi, que tu quittes la communauté. La parole de Dieu n’est-elle pas parmi nous ? »
Arsène dit :« Elle est ici, elle court aussi dans le monde. Il faut donc se mettre en quête »
Ces propos inquiétaient les juifs. Ils dirent :« La parole de Dieu est dans les livres, elle sort de nos bouches, le monde est une perdition de l’âme ».
Arsène était dans l’affliction, blessé.
-« La parole de Dieu est puissante. L’homme doit être passant. C’est dans le Cœur de l’homme que s’inscrit la parole divine, pas dans les livres ».
Tandis qu’Arsène parlait de la sorte, un brouhaha parcouru l’assistance.
Alors Arsène regarda dans la direction du sud et dit :« j’ai connu un homme dans le désert, il est mort, la parole de Dieu était en lui ; je témoigne, il s’appelle Abba Maroze ».
Un lévite se leva :« ne parle pas de cet homme, c’est un criminel, Dieu ne saurait le sauver. Le désert était son châtiment ; il fut condamné au désert par la loi de Dieu ».
-« Maroze a été vers Dieu, pourquoi doit-il être tourmenté par ceux dont la face est changeante reprit Arsène.
Il ajouta :« pour tout homme, c’est une grande crainte et une grande douleur que la mort ».
-« la mort ne tourmente que les pêcheurs », énonça le conseil.
-« mourir est la destinée de tout homme, chaque âme ne sort pas du corps sans douleur et sans trouble », dit Arsène.
Malgré ce long temps au désert son corps ne s’était pas affaibli, ses yeux n’avaient pas perdu la lumière ; pas une seule dent ne s’était gâté dans sa bouche. Les derniers propos d’Arsène jetèrent l’assemblée dans un vif émoi.
Très émue sa fille prit la parole : « le commencement de la sagesse n’est-il point d’admirer le réel, comme dit Platon dans le Théctète et selon le propre conseil de Matthieu dans les traditions « admire dit-il, le présent ». Rappelons nous surtout le propos que tient le seigneur « soyez miséricordieux, afin d’obtenir miséricorde ; pardonnez afin d’être pardonnés. Comme vous agissez, ainsi agira t-on avec vous. Comme vous donnerez, on vous donnera. Comme vous Jugez, ainsi on vous jugera. Selon le bien que vous faîtes, on vous fera du bien. De la mesure dont vous mesurerez, on vous mesurera » . Ayant dit tout cela elle se tu.
Le Rabbi reprit :« la nuit commence à tomber, les femmes citent les paroles du seigneur, je crois qu’il est temps de se préparer à partir ».
Il se leva, suivit de sa troupe et se rendit à la synagogue.
Et Arsène, cette première nuit, resta chez sa fille. A l’heure de dormir sa fille vint le trouver.
-« Père, l’espace d’une empreinte de ton pied dans ma maison vaut plus que toutes les richesses de ce monde, voilà ce qui importe ».
Arsène ne trouva pas le sommeil de suite. Le monde n’a guère changer pensait-il. Toujours cette même intransigeance, ce refus de la chair, du monde sensible, de la recherche. Pourquoi venir me voir si c’est pour m’accuser ?
Non décidément rien n’avait changé et comment cela aurait-il pu en être autrement.
A suivre

Quelques réflexions pour refermer provisoirement ce chapitre sur la philocalie et le lien entre cosmologie et autonomie .
Tour d’abord revenons rapidement sur la nature de l’ être.
L’idée de Platon, c’est que le monde est structuré par le Bien et que le Bien c’est le Vrai, et le Juste c’est le Beau. Donc l’Être, indépendant de nous, il est bien, il est le Beau, il est le Vrai, il est le Juste et que si jamais dans le monde il y a du mal, c’est parce que nous l’avons introduit.; la matrice religieuse chrétienne issue de cette pensée tient le monde pour bon et l’homme mauvais, par ses péchés, le gâche d’où la nécessité de maintenir un ordre stable .
Les Grecs ne voyaient pas le monde comme étant en lui-même porteur de beauté, de justice, etc. Le monde en lui-même, c’est l’hubris, c’est la démesure, c’est l’au-delà de l’ordre justement et c’est l’institution humaine, la politique donc, qui s’interroge sur quelle institution est la meilleure, en tout cas c’est l’institution humaine qui vient ordonner ce qui est en soi chaotique. Donc on a une vision ontologique d’un monde qui est profondément tragique et qui pose que les institutions humaines sont là pour donner un ordre à quelque chose qui n’en a pas en soi.
La pensée nietzschéenne tient le monde pour tragique et l’homme n’a que sa raison pour penser le tragique .
Quant à la pensée de gauche révolutionnaire à laquelle je m’associe en partie elle présuppose que le social historique doit être transformé par la praxis d’ hommes autonomes capables de dépasser d’une part la domination qu’ils subissent, d’autre part de garantir le principe d’égalité sans délégation politique et enfin de promouvoir un état de vérité et de justice pour tous .
Mais un projet d’autonomie pour les individus ne peut pas à mon sens reposer sur l’éducation, l’action, la praxis ,l’émancipation par les luttes. La dimension anthropologique nécessite de revenir sur deux dimensions souvent occultées ou disqualifiées : l’imagination et le spirituel.
Il ne s’agit pas pour moi de revenir à la pensée personnaliste des années soixante dix portée par la revue Esprit mais d’approfondir un travail sur les conditions susceptibles de permettre ou favoriser un projet d’autonomie.
L’ imagination doit être vue comme une faculté propre à l’intellect humain à l’égal de l’entendement de la raison. La place accordée par la philosophie à l’imagination créatrice dans le domaine de l’art est significative à cet égard.
Kant par exemple reconnaît le rôle central de l ‘art et le génie de l’imagination en tant que un mode d’être originairement créateur où est littéralement produit des formes inédites à travers l’invention de règles nouvelles.
L’imagination radicale forme ce à partir de quoi surgissent des chaînes et les figures qui conditionne toute représentation et toute pensée .L’imaginaire radical se manifeste sous deux formes ,l’imaginaire social qui crée les significations s’incarne dans le complexe des institutions de la société et l’imagination radicale de l’imagination à l’œuvre dans le « psychisme « humain individuel c’est donc l’imagination entendu comme faculté créatrice.
Mais, l’imagination a toujours été tenu par les philosophies pour une faculté humaine secondaire au mieux instruments utiles à la connaissance dans son effort pour articuler l’expérience et de concept au pire source d’illusions néfastes qui fait passer le faux pour le vrai et brouille les repères entre le réel et l’irréel.
Cette facultée humaine est primordiale car elle permet de penser le Chaos.
Le chaos possède dans le texte d’hésiode une double signification: il désigne d’une part le vide, le néant; d’autre part le désordre ce qui se donne d’emblée sur le mode du mélange. Au premier sens du terme le chaos renvoie à l’idée que le monde émerge du vide c’est à dire du néant que celui-ci est pure émergence en tant qu’il ne peut être considéré comme le produit d’une cause antérieure . Au second sens du mot le chaos signifie que le monde n’est pas intégralement organisé mais repose sur un désordre primordial puisque les formes déterminées qui lui donne la figure d’un cosmos organisé émerge de l’informe et l’indéterminé.
Mais que l’être ne soit pas intégralement déterminée ne signifie pas qu’il soit absolument indéterminable et comme rétif à toute détermination si l’être est à l’origine un chaos une multiplicité désordonnés sans structure il est aussi puissance de détermination créatrice. Le chaos ne constitue donc pas un pur désordre auquel cas il serait impossible d’en dire quelque chose. Il se donne toujours en même temps comme monde de forme organisée. La création est précisément la position de nouvelles déterminations.
Le magma désigne cette façon pour le chaos de s’arracher au désordre intégral ou rien ne fait ni sens ni forme afin de se constituer comme monde sans cette pré ordonnance des choses qui organise ce qui apparaît sous des formes génériques déterminées il ne pourrait exister aucun monde. Dans ces conditions le Magma permet de penser le mode d’être de ce qui n’est pas totalement ordonné ni intégré . C’est à partir de ce chaos initial que peuvent naître des entités nouvelles d’une certaine manière le magma ne se situe pas très loin de ce que Maurice Merleau-Ponty cherche à penser dans « le visible et l’invisible » sous le terme de chair. La chair forme cette texture qui constitue » le milieu formateur de l’objet et du sujet », ce que Merleau-Ponty nomme l’invisible de ce monde celui qui l’ habite le soutien et le rend visible, sa possibilité intérieure et propre , l’Être de cet état ».
Cette chair du monde ouvre à une dimension ontologique des choses
Penser l’être comme auto création c’est à dire comme puissance d’auto altération indéterminée en même temps que déterminante
L’imagination est aujourd’hui considéré comme une faculté de la psyché et la psychanalyse s’est largement appropriée ce terrain d’étude. Mais appartient elle à cette catégorisation ; si oui n’est-elle que cela ? Quels liens entre Imagination et esprit ?
Le lien avec la Philocalie tient notamment à l’interprétation du Noûs .
Le mot a été longtemps traduit par esprit mais alors il y a une confusion avec la traduction du pneuma grec qui est précisément esprit et finalement occultation du sens spécifique du Noûs que l’on peut traduire par intelligence .
Cette traduction est plus fidèle à la tradition , parce que l’intelligence est un terme ambivalent faculté mais aussi activités, il peut s’appliquer à la connaissance du monde comme à la connaissance de Dieu ; ensuite parce que l’ambivalence permet le retournement la métanoïa le repentir ontologique le passage d’une connaissance à l’autre.
L ‘intelligence en grec le noûs cessant de se tourner continuellement vers le monde pour le connaître et l’utiliser jusqu’à la limite du possible se retourne sur elle-même pour se confier par impossible à l’origine du monde ; c’est l’envers silencieux de la philosophie.
Ce qui est dit intelligence c’est l’énergie de cette intelligence suscitée par les beaux raisonnements et les pensées et qui est appelée cœur par la philocalie . Le lieu ou demeure la plus importante de nos puissances intérieures l’intelligence et l’âme douée de raison qui est en nous.
Tous droits réservés.