M comme MINGEI

MINGEI

« Ce qui est naturel, sincère, sûr, simple, telles sont les caractéristiques du Mingei ». Cette définition du mouvement artistique japonais est forgée par le théoricien Yanagi Sōetsu en 1933 dans ce qui peut être considéré comme son manifeste, l’idée du Mingei. 

Portrait de Yanagi Sōetsu

Yanagi prône un retour au système des guildes médiévales pour la méthode d’apprentissage et les relations développées entre le maître et ses élèves… Cette conception de l’artisanat fait largement écho à la vie des artisans japonais relatée dans le Shokunin zukushie, qui décrit les habitudes et le code moral strict auxquels sont soumis les artisans : une diligence extrême au travail et un effacement total de l’intérêt personnel !

Pour résumer, une production est dite mingei lorsqu’elle offre une beauté simple accessible à tous, un effacement total de son créateur (anonymat) et une spontanéité naturelle de l’artisan (qui renvoi au concept zen de mushin « pensée sans pensée »).

Le mouvement mingei cherche à rénover le regard porté sur l’art et sa définition. Par ses choix esthétiques, il incarne un parti pris politique à deux niveaux : d’une part la conservation des traditions dans un Japon tourné vers les nouvelles techniques ; d’autre part une reconnaissance de la beauté de l’art coréen dans un contexte de colonisation, de destruction et d’abnégation générale de la culture coréenne.

L’appellation « Mingei » est tout simplement l’assemblage des mots « minshu » (peuple) et « kogei » (artisanat).

Pour résumer, un objet Mingei est esthétique, utile, de qualité, mais aussi et surtout fidèle à sa fonction dans la vie quotidienne.

Pour finir, une citation du fondateur Soetsu Yanagi : “Le Mingei doit être modeste mais non de pacotille, bon marché mais non fragile. La malhonnêteté, la perversité, le luxe, voilà ce que les objets mingei doivent au plus haut point éviter : ce qui est naturel, sincère, sûr, simple, telles sont les caractéristiques du Mingei.

 Le Mingei peut être vu comme une réaction à l’orientation du design et des arts décoratifs japonais de la première moitié du XXème siècle, trop influencé par la découverte des arts occidentaux. Développé par le penseur Soetsu Yanagi et plus tard par son fils Sori Yanagi refusant le luxe, l’apparence et la sophistication technique de l’artisanat aristocratique, le seul alors considéré au Japon.

Ses initiateurs  réagissent  en réinterprétant les arts traditionnels japonais et sauvegardent des savoirs faire menacés de disparition. Sans pour autant tourner le dos à la modernité et ses techniques.En atteste la venue au Japon de Bruno Taut, Charlotte Perriand et Isamu Noguchi alors émigré aux Etats-unis et leur influence sur le développement de la production design dès l’après guerre.

Isamu Noguchi – lampes en papier washi

Selon Soetsu Yanagi, un objet, pour être considéré Mingei cet objet doit rester pure par rapport à  sa fonction et être utilisé immédiatement après sa création. Comme le dit lui même Soetsu Yanagi : « son esthétique doit rester honnête par rapport à sa fonction »


Charlotte Perriand – lit en bambou et matelas tatamis

Le fils de Soetsu, Sori Yanagi -pionnier du design après guerre au Japon- concilie plus tard une approche moderne avec une sensibilité pratique transmise par Charlotte Perriand. Son siège butterfly (1953) est d’ailleurs pensé après avoir assisté Perriand lors de la conception de la chaise « ombre » inspirée de la calligraphie japonaise.

Sori Yanagi – tabouret Butterfly contreplaqué moulé et cintré.
Charlotte Perriand – présentation à Tôkyô en 1941

Pour les Yanagi, la meilleure définition de l’objet Mingei est « la beauté de l’ordinaire » redoutant par dessus tout que la recherche du « beau pour le beau » ne détourne les artistes de l’artisanat en lequel ils voient la source de tout art.

Mais l’esprit Mingei s’est aussi accepter l ‘œuvre du temps, son imperfection qui révèle toute sa beauté. Il est possible de rapprocher la tradition Mingei avec la notion Wabi-Sabi. Le Wabi ( solitude, simplicité, nature ) et le Sabi ( altération par le temps) .

Jizo du dix septième siècle

Leonard Koren, architecte et théoricien de l’esthétique, a étudié durant de nombreuses années le concept de wabi-sabi et en a tiré un ouvrage « wabi-sabi« , à l’usage des artistes, designers, poètes et philosophes, dans lequel il essaie de définir le wabi-sabi.

“Wabi-sabi est la beauté des choses imparfaites, impermanentes et incomplètes. C’est la beauté des choses modestes et humbles. C’est la beauté des choses atypiques.”

Tout en reconnaissant toutefois que, même à l’intérieur des frontières de l’archipel, la définition reste difficile à établir.

C’est une notion difficile à expliquer, et bien que tous les Japonais soient prêts à affirmer qu’ils comprennent le sentiment associé au wabi-sabi, ils sont très peu capables de le formuler.”

Le wabi-sabi est constitué de deux principes entremêlés : wabi, qui fait référence à la plénitude et à la modestie que l’on peut éprouver en observant la nature et le sabi, la sensation que l’on ressent lorsque l’on voit des choses patinées par le temps ou le travail des êtres humains. L’éthique du wabi-sabi prône donc une vie menée par une sobriété maitrisée, où l’on est capable de déceler et d’apprécier l’impermanence, la beauté de toute chose humble et imparfaite.

Ce qui me charme dans l esprit Mingei c’est tout à la fois cette réaction politique par la culture et un retour à l artisanat mais aussi une forme de dénuement, certes esthétique et aristocratique mais qui refuse la différence entre un art populaire et ce qui se fait de nos jours. La création populaire primitive ou plus artistique permet et rend activement possible une variété indéfinie de réalisations, de même qu’elle fait une place à l excellence de l interprète , qui n’est jamais simple interprète mais créatif dans son interprétation: potier, sculpteur…

Un rapport au temps diffèrent se crée, car elle dure souvent bien plus longtemps soit par son usage, soit par sa confection. Sa durabilité fait partie de son mode d’être au monde. Elle porte une création mais aussi un mode d’être de la collectivité qui a vue naitre l objet et celui a qui il va être transmis. Une sorte de transmutation d’une valeur de tradition.

Dernière illustration – mais je reviendrais dans un futur article sur une autre dimension du Mingei , le shintoïsme des villages- il s’agit du texte sur l éloge de l ombre de Tanizaki.

Certes cet essai est très esthétisant et oppose de manière radicale l art d occident et celui du japon , mais à sa manière il ouvre une porte esthétique .

Je vous propose quelques extraits .

L’ombre et la lumière

“ En fait, la beauté d’une pièce d’habitation japonaise, produite uniquement par un jeu sur le degré d’opacité de l’ombre, se passe de tout accessoire. L’Occidental, en voyant cela, est frappé par ce dépouillement et croit n’avoir affaire qu’à des murs gris dépourvus de tout ornement, interprétation parfaitement légitime de son point de vue, mais qui prouve qu’il n’a point percé l’énigme de l’ombre. “

« N’avez-vous jamais, vous qui me lisez, au moment de pénétrer dans une de ces salles, éprouvé le sentiment que la clarté qui flotte, diffuse, dans la pièce, n’est pas une clarté ordinaire, qu’elle possède une qualité rare, une pesanteur particulière ? N’avez-vous jamais éprouvé cette sorte d’appréhension qui est celle que l’on ressent face l’éternité, comme si de séjourner dans cet espace faisait perdre la notion du temps, comme si les ans coulaient sans qu’on s’en aperçoive, à croire qu’à l’instant de le quitter l’on sera devenu soudain un vieillard chenu ?« 

« Aussi n’est-il pas impossible de prétendre que c’est dans la construction des lieux d’aisance que l’architecteur japonaise atteint aux sommets du raffinement. Nos ancêtres qui poétisaient toute chose, avaient réussi paradoxalement à transmuer en un lieu d’ultime bon goût l’endroit qui, de toute la demeure, devait par destination être le plus sordide, et par une étroite association avec la nature, à l estomper dans un réseau de délicates associations d’images. Comparée à l’attitude des Occidentaux qui, de propos délibéré, décidèrent que le lieu était malpropre et qu’il fallait se garder même d’y faire en public la moindre allusion, infiniment plus sage est la nôtre, car nous avons pénétré là, en vérité, jusqu’à la moelle du raffinement.« 

« D’aucuns diront que la fallacieuse beauté créée par la pénombre n’est pas la beauté authentique. Toutefois, ainsi que je le disais plus haut, nous autres Orientaux nous créons de la beauté en faisant naître des ombres dans des endroits par eux-mêmes insignifiants. »

Le beau

 « Je crois que le beau n’est pas une substance en soi, mais rien qu’un dessin d’ombres, qu’un jeu de clair-obscur produit par la juxtaposition de substances diverses. De même qu’une pierre phosphorescente qui, placée dans l’obscurité émet un rayonnement, perd, exposée au plein jour, toute sa fascination de joyau précieux, de même le beau perd son existence si l’on supprime les effets d’ombre. “

« Car un laque décoré à la poudre d’or n’est pas fait pour être embrassé d’un seul coup d’oeil dans un endroit illuminé, mais pour être deviné dans un lieu obscur, dans une lueur diffuse qui, par instants, en révèle l’un ou l’autre détail, de telle sorte que, la majeure partie de son décor somptueux constamment caché dans l’ombre, il suscite des résonances inexprimables.

De plus, la brillance de sa surface étincelante reflète, quand il est placé dans un lieu obscur, l’agitation de la flamme du luminaire, décelant ainsi le moindre courant d’air qui traverse de temps à autre la pièce la plus calme, et discrètement incite l’homme à la rêverie. N’étaient les objets de laque dans l’espace ombreux, ce monde de rêve à l’incertaine clarté que sécrètent chandelles ou lampes à huile, ce battement du pouls de la nuit que sont les clignotements de la flamme, perdraient à coup sûr une bonne part de leur fascination. Ainsi que de minces filets d’eau courant sur les nattes pour se rassembler en nappes stagnantes, les rayons de lumière sont captés, l’un ici, l’autre là, puis se propagent ténus, incertains et scintillants, tissant sur la trame de la nuit comme un damas fait de ces dessins à la poudre d’or.

Ce que l’on appelle le beau n’est d’ordinaire qu’une sublimation des réalités de la vie, et c’est ainsi que mes ancêtres, contraints à demeurer bon gré mal gré dans des chambres obscures, découvrirent un jour le beau au sein de l’ombre, et bientôt ils en vinrent à se servir de l’ombre en vue d’obtenir des effets esthétiques.

Le bol de laque au contraire, lorsque vous le découvrez, vous donne, jusqu’à ce que vous le portiez à la bouche, le plaisir de contempler, dans ses profondeurs obscures, un liquide dont la couleur se distingue à peine de celle du contenant et qui stagne, silencieux, dans le fond. Impossible de discerner ce qui se trouve dans les ténèbres du bol, mais votre main perçoit une lente oscillation fluide, une légère exsudation qui recouvre les bords du bol, vous apprend qu’une vapeur s’en dégage, et le parfum que véhicule cette vapeur vous offre un subtil avant-goût de la saveur du liquide, avant-même que vous en emplissiez votre bouche. Quelle jouissance dans cet instant, combien différente de ce que l’on éprouve dans une assiette plate et blanchâtre de style occidental ! Il est à peine exagéré d’affirmer qu’elle est de nature mystique, avec même un petit goût zennique. »

…] à un éclat superficiel et glacé, nous avons toujours préféré les reflets profonds, un peu voilés; soit, dans les pierres naturelles aussi bien que dans les matières artificielles, ce brillant légèrement altéré qui évoque irrésistiblement les effets du temps. « Effets du temps », voilà certes qui sonne bien mais, à vrai dire, c’est le brillant que produit la crasse des mains. Les Chinois ont un mot pour cela, « le lustre de la main »; les Japonais disent l' »usure » : le contact des mains au cours d’un long usage, leur frottement, toujours pratiqué aux mêmes endroits,produit avec le temps une imprégnation grasse; en d’autres termes , ce lustre est donc bien la crasse des mains.

[…] Contrairement aux Occidentaux qui s’efforcent d’éliminer radicalement tout ce qui ressemble à une souillure, les Extrême-Orientaux la conservent précieusement, et telle quelle, pour en faire un ingrédient du beau. »

Publié par faitetafaire1128

Qui suis -je ? Trop vaste question pour moi et pour vous. je suis un peu celui qui se refuse à s'en remettre aux autre sans comprendre par soi même . Je suis celui qui aime les personnes mais s attache peu au genre humain. Je suis un enfant des trains électriques, des petits cyclistes , qui allait voir décoller les avions au Bourget avec son père. Je suis un fils d'immigré républicain espagnol qui aime la France mais se désole du refus de mes contemporains d être ce que nous sommes, c est à dire une civilisation judéo chrétienne accueillante mais intransigeante sur l art de vivre à la française qui reste notre seul héritage. J aime la pensée, la philosophie , mais aussi la spiritualité qui forge les cultures. j espère que mes petites lucarnes , plus ou moins régulières- travail et ultra trail oblige- vous feront plaisir.

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